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passer aujourd’hui pour nos villes dévastées au cours de la dernière guerre. Certaines d’entre elles ont été incendiées méthodiquement par l’ennemi. Après quoi, on a fait sauter les murs à la dynamite. Puis, les matériaux, soigneusement empilés, ou bien sont transportés ailleurs, ou servent à rebâtir sur les lieux mêmes. Les emplacements abandonnés, vidés de tout ce qu’on a jugé utilisable, sont déjà à demi ensevelis sous la terre. Mais les fondations, mais le sous-sol demeurent intacts. On n’a qu’à rejeter la légère couche de terre qui s’y est amassée pour retrouver, net comme un damier, le plan du village, ou du quartier enseveli. On peut préjuger sans témérité que pareille chose est arrivée à la Carthage romaine. Si nue qu’elle ait été laissée par le fer et par le feu, par les destructeurs et les pillards de toute sorte, son empreinte doit être encore facilement reconnaissable. Les traces des rues, des places publiques, les fondations des maisons et des principaux édifices se sont peut-être enterrées profondément depuis quatorze ou quinze siècles. Mais ces traces et ces fondations ont dû se conserver. Ne serait-ce pas, en définitive, un beau résultat que de retrouver le plan de la Carthage romaine tout entière ? En tout cas, ce qui reste et ce qu’on a déblayé jusqu’à ce jour semble autoriser les plus belles espérances.

Voilà plus d’un siècle, Chateaubriand, dans son Itinéraire de Paris à Jérusalem, notait déjà que les ruines de Carthage, comme celles de Sparte, étaient plus abondantes qu’on ne le pensait au premier abord, « n’ayant rien, dit-il, de bien conservé, mais occupant un espace considérable. »

Entre les ports et Byrsa, il a constaté la présence de beaucoup de débris. Or, c’est la partie de la ville où se trouvaient probablement le Forum et la Place Maritime, dont parle saint Augustin. Aujourd’hui que ces débris ont disparu, la remarque de Chateaubriand devient extrêmement précieuse. Plus loin, du côté de Bordj-Djedid, les vestiges des Thermes d’Antonin l’ont vivement frappé : il y voit les ruines d’un « très grand édifice, qui semble avoir fait partie d’un palais et d’un théâtre. » Ce dernier trait semble justifier l’hypothèse du docteur Carton, qui suppose l’existence d’une vaste nymphée creusée aux flancs de la colline de Bordj-Djedid et faisant face à l’entrée des Thermes d’Antonin. Ce que Chateaubriand aurait pris pour les gradins d’un théâtre serait les vasques superposées ou les étages d’un Château-d’Eau.