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plus commode de tout le voisinage pour une construction de ce genre et que ce fut la principale raison de son choix. Et il est très probable aussi que le paysage était à peu près invisible même pour les personnages des derniers gradins, lorsque le mur de la scène montait au niveau de la cavea et qu’un velum tendu sur tout l’hémicycle dérobait jusqu’à la vue du ciel. Les citoyens de Thugga étaient enfermés dans leur théâtre comme dans une cuve de pierre sonore. Même pendant les entractes, lorsqu’ils se promenaient sous le portique de la façade, on peut douter qu’ils eussent le spectacle du vaste horizon qu’on y découvre aujourd’hui. Des bâtisses à présent démolies se déployaient sans doute en bordure du ravin et offusquaient le regard de ce côté. D’ailleurs, les anciens ne partageaient pas notre goût pour les grandes perspectives architecturales. Dans leurs rues, sur leurs places, — toujours très étroites, — dans leurs jardins aussi, la vue était bornée par un foisonnement d’édicules, de piédestaux, de statues, de portiques, d’architectures, ou de formes végétales, qui nous paraîtraient bizarres, recherchées, puérilement compliquées.

Le mieux, ici comme en Grèce et partout où il y a des ruines antiques, c’est donc de s’en tenir à ce que l’on voit et à ce que l’on éprouve spontanément, sans chercher à se mettre à la place de chimériques spectateurs.

Ces réserves faites, asseyons-nous bonnement sur les gradins du théâtre de Thugga et trouvons le meilleur de notre plaisir, le plus certain qu’on y puisse éprouver, à contempler l’étonnant paysage.

Il faut bien avouer qu’il est admirable. C’est une immense plaine montagneuse coupée de champs de blé, de bois de pins et d’oliviers, avec des vallées profondément ravinées, où brille, çà et là, la boucle argentée d’un oued. A droite, on aperçoit, parmi les cubes aplatis du village arabe et les ruines de la ville antique, la châsse vermeille du petit temple capitolin, dont les colonnes déliées se détachent sur les fonds aériens comme les cordes d’une lyre. Plus près du regard, des mausolées, des débris de portes triomphales, puis des bourgades perdues dans la verdure des cimes boisées, des montagnes chauves en forme de pitons ou de cônes, et, à l’arrière-plan, très loin, — haute muraille régulière, sans une dépression, ni une dentelure, — la chaîne violette, presque indistincte, de l’Atlas.