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lune épanouie, le spectacle de la ville morte et du paysage nocturne est d’une grandeur et d’une mélancolie qui, d’abord, vous pénètrent et, peu à peu, vous transportent. À perte de vue, les ruines s’estompent, finissent par se confondre avec la terre, qui elle-même prend des figures d’édifices ; de pylônes, de statues colossales. Et cette houle de formes indistinctes et vaguement ébauchées route jusqu’au massif du Zaghouan qui domine tout l’horizon. La lune en assomption dessine dans la pénombre un bouillonnement de coupoles, de dômes effilés, pointus, au profil irrégulier, autour du grand dôme central qui surgit pareil à une fabuleuse basilique du Sacré-Cœur, flanquée d’absides, de tours tronquées et trapues. Dans l’enchantement lunaire, la masse énorme et confuse semble de marbre violet, un marbre aux arêtes luisantes, comme saupoudré d’argent. Et, de l’autre côté, au fond de la vallée, émergent des montagnes noires, bleuâtres, basses et coniformes, qui ont l’air de divinités inférieures, accroupies dans l’ombre, — les sombres et chaotiques génies du Berbère agenouillés en cercle autour du génie constructeur de Rome…

Au bas de la falaise, l’oued extravasé murmure au milieu des cailloux et des roseaux. L’éclair de ses petites ondes mouvantes paillette les ténèbres transparentes. Les grelots des vaches tintent au loin dans les pâturages. L’aboiement du chien de garde monte vers la lune. Au milieu de cette plaine couverte de ruines, le passé silencieux se lève, chuchote sous toutes ces pierres consacrées aux Dieux mânes. C’est quelque chose d’immense, de funèbre et de magnifique.


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À Sousse, l’ancienne Hadrumète, nous pénétrons dans un autre monde. Longtemps avant qu’on y arrive, la douceur nacrée de l’atmosphère annonce la proximité du rivage marin. Assise au milieu de ses oliviers, Hadrumète est une ville maritime, plus molle que les villes du Tell, plus ouverte aussi aux influences étrangères. À cause de cela, elle dut être chrétienne de bonne heure, peut-être même avant Carthage.

L’archéologie semble bien le prouver. Après le colonel Vincent qui eut la bonne fortune de les découvrir, le docteur Carton et Mgr Leynaud y ont dégagé tout un groupe de catacombes sur les hauteurs qui dominent la citadelle. Dès la plus haute