Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 59.djvu/720

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réfractaires, que voulez-vous de plus ? Cependant, il arrive parfois que, tout à l’inverse, un zèle bruyant se déploie, mais si équivoque qu’il est lui-même une des formes de la compacité. A son de caisse, on publie dans les villages qu’on va poursuivre les prêtres, les receleurs de prêtres, tous les séides des fanatiques et que décidément on ne les tolérera plus. Dans le Pas-de-Calais, on donne un nom à ces annonces ; on les appelle les chasses au tambour. Lentement, dans la journée, on prépare les mandats ; le lendemain on les classe, non sans s’être assuré que les victimes ont eu le temps de se cacher ; enfin les perquisitions, que, dans certains procès-verbaux, on appelle inopinées, commencent le surlendemain de bon matin.

Les commissaires du Directoire, — commissaires départementaux ou commissaires cantonaux, — tour à tour se désolent, s’indignent ou se découragent. De tous côtés ils se sentent enlacés. Qui recèle les prêtres ? Souvent les fonctionnaires eux-mêmes ; ainsi en est-il en Artois, en Bretagne, ailleurs encore. On veut interdire les offices religieux. Mais en certains départements, dans l’Yonne, dans le Doubs, il arrive que le lieu où se célèbrent les rites catholiques n’est séparé que par un mur de la salle où siègent les administrations ; celles-ci voient les fidèles entrer et sortir, entendent les chants ; et, ouvertement, elles tolèrent cette renaissance du fanatisme. En un village de Franche-Comté, on médite d’arrêter un prêtre sujet à la déportation : mais c’est l’agent municipal qui, chaque dimanche, monte à cheval, va lui-même, le chercher et, à la tête d’un rassemblement, le conduit jusqu’à la maison où se célèbre le culte. On songe à poursuivre un ecclésiastique comme émigré rentré. Voici que sont produits de faux certificats de résidence. Une enquête est ouverte ; mais à qui la confier ? A l’agent municipal ? Il a un frère émigré. Au juge de paix ? C’est lui qui a provoqué les signatures. Au greffier ? Il est le fils de l’agent municipal.

Les gendarmes sont-ils du moins plus sûrs ? Les plus zélés eux-mêmes servent peu ; car le plus souvent ils se renseignent auprès des autorités locales qui, loin de favoriser les enquêtes, s’appliquent à brouiller les pistes. Mais sont-ils tous dociles ? Dans les rapports de plusieurs d’entre eux, on devine un zèle médiocre : celui-ci invoque la fatigue ou l’excès de la besogne ; celui-là allègue qu’il n’a pas de chevaux ou que ses chevaux