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V

Réussira-t-il à enchaîner les consciences qui aspirent à se libérer ? S’il ne considère que les pouvoirs publics, il peut espérer le succès. Dans le Corps législatif divisé en deux Chambres, le Conseil des Cinq-Cents, le Conseil des Anciens, les Conventionnels se sont, par une sorte de glissement frauduleux, transfusés, comme on l’a dit, jusqu’à concurrence des deux tiers. Or, les plus influents parmi les Cinq-Cents semblent tout d’abord décidés à perpétuer, en matière religieuse, la servitude. Et ils ne tardent pas à manifester leurs dispositions, car le 17 floréal an IV (23 avril 1796) sur l’initiative du représentant Drulhe, ils adoptent une résolution qui impartit aux prêtres déportables un délai de vingt jours pour quitter la France ; passé ce temps, ils seront assimilés aux émigrés, c’est-à-dire passibles de mort.

Ce vote semblait consacrer la politique persécutrice. Et pourtant on touchait à l’heure où, dans le vieux bloc Conventionnel, allaient se creuser, avec une rapidité inattendue, les premières fissures.

Quatre jours après le vote de la motion Drulhe fut divulgué le complot communiste de Babeuf. Décidément, le seul péril n’était pas le péril clérical. L’ancienne majorité Conventionnelle, perpétuée dans le Corps législatif, formait une oligarchie à la fois violente et faible, prompte à persécuter, prompte aussi à trembler. Sous la menace anarchiste, elle s’amollit légèrement, très légèrement, vis à vis des fanatiques : de là quelques mesures de détail où se révélait une conduite un peu moins vexatoire.

Ce fut dans le Conseil des Anciens que se marqua le retour vers la tolérance. Cette Assemblée se piquait de bonne tenue, de modération surtout, et bien qu’elle ne différât de sa voisine que par les conditions d’âge, elle mettait une sorte de coquetterie à se distinguer d’elle, à ne pas se réduire à un rôle d’enregistrement, à figurer au contraire une Chambre haute, chargée de tempérer et de contenir. Quand la motion Drulhe lui fut transmise pour qu’elle la convertit en loi, les critiques éclatèrent. Le rapporteur choisi fut Portalis. C’était un avocat provençal, très réputé pour sa sagesse, sa raison, son savoir, et qui avait un mérite, assez rare dans toutes les Chambres législatives, celui de ne parler que des choses qu’il connaissait. Ce fut à lui