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les Namphanio, les Quartillosa, les Macaria… Soudain, il se tait. Une émotion nous étreint, une pensée semblable traverse nos esprits. Ces misérables glorieux, — ils ressuscitent, ils sont là, autour de nous, avec les mêmes costumes, les mêmes visages qu’autrefois, ils poussent leurs ânes aux flancs des collines pierreuses, ils piochent le sol maigre avec leurs hoyaux primitifs, ou bien curieusement ils se penchent avec nous au bord de ces cuves baptismales, dont les inscriptions n’ont plus de sens pour eux, mais dont ils savent confusément que c’est l’œuvre de leurs pères…

Est-ce que tout est fini entre nous ? Est-ce que ces âmes-là sont si loin des nôtres ?…


* * *

Ces évocations du passé, ces reconstitutions et ces résurrections archéologiques, que nous appelons de, tous nos vœux, n’ont donc pas seulement un intérêt esthétique, ou de pure curiosité.

Quoi qu’il advienne, Carthage, telle qu’elle est, peut se suffire à elle-même. Elle vit dans la mémoire des hommes d’une vie tout idéale qui n’a pas besoin du travail des architectes et des archéologues. Son cadre est tellement beau, son paysage tellement évocateur, que c’est assez de s’abandonner à son charme. D’elle-même, Carthage ressuscite parmi ses ruines, pour peu qu’on y trouve un coin solitaire où se recueillir. Les plus authentiques restitutions des monuments anciens nous laisseraient froids au milieu du tintamarre d’un casino, dans le voisinage d’un Excelsior ou d’un Byrsa-Palace. Le premier devoir des Amis de Carthage, c’est de ménager, dans la ville neuve qui menace de tout envahir, de petits îlots de solitude et de rêve pour le voyageur contemplatif. Même aujourd’hui, avec toutes ses bâtisses modernes, la colline de Byrsa est un de ces îlots. Il ne faut pas la laisser encombrer davantage. Si regrettable, à de certains égards, que soit la présence, en ce lieu vénérable, d’une église et d’un monastère tout neufs, ces édifices, d’un caractère sacré, s’accordent tout de même mieux avec celui de la vieille acropole d’Eschmoun que la banalité prétentieuse et bruyante d’un hôtel cosmopolite.

Allez seulement vous asseoir à la tombée de la nuit, sur le parvis de la Basilique primatiale. Laissez errer vos yeux sur la