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défendable, — le serment liberté-égalité : si l’on prohibe ce serment, répétait-il, quel prêtre pourra demeurer en France ? Ainsi avait-il jugé, contenant tristement son cœur et parfois se révoltant contre son propre avis. Si le serment liberté-égalité ne lui avait arraché qu’un assentiment contraint, la promesse de la loi de prairial, surtout avec les commentaires qui l’avaient accompagnée, lui avait paru tout à fait légitime, et à la pensée de jours meilleurs, sa physionomie austère s’était illuminée de cette belle joie du croyant qui voit triompher ce qu’il a de plus cher. Sur ces entrefaites, fut prescrit un nouveau serment, celui du 7 vendémiaire an IV : c’était le troisième depuis la Constitution civile. Ce nouvel engagement déplut à l’abbé Emery, mais sans le troubler. Le clergé était tenu de jurer que « l’universalité des citoyens était le souverain : » cette maxime, disait l’abbé, contenait une erreur probablement, une sottise peut-être ; elle ne constituait pas une hérésie.

En prêchant la conciliation, en revêtant d’interprétations bénignes, même les formules un peu suspectes, ce prêtre saintement opportuniste ne manquerait pas de soulever contre lui le parti de l’exil. Il le savait, s’en attristait et ne s’en effrayait pas. Chez lui nulle envie démocratique, nulle inclination à convaincre d’erreur ou à contredire les puissants de jadis. Mais quelle que fût sa déférence pour l’âge, le rang, l’infortune, il se serait cru traître envers lui-même si, par crainte de déplaire, il eût amoindri ou altéré sa pensée. Que si, dans les cercles de l’émigration, les critiques s’accumulaient, souvent amères et presque injurieuses, il gardait le silence et, avec une obstination douce, continuait sa tâche. Un seul parmi les exilés, l’abbé Maury, qu’il avait jadis connu, soutenu, admiré, paraît avoir provoqué chez lui quelque impatience. Ce personnage, devenu archevêque et cardinal, se plaisait à amplifier son crédit, hélas ! très réel ; volontiers il se produisait comme l’interprète des vues royales, des vues pontificales aussi ; et à ce titre, il flétrissait tout ce qui avait un air de concession. Tant de fatuité unie à tant d’intransigeance arrachait parfois à son calme l’abbé Emery, qui pourtant ne s’émouvait guère : « Maury, dira-t-il un jour, donne ses pensées pour celles des autres et ses décisions pour celles de Rome. »

Cependant, vers le petit appartement de la rue d’Enfer se dirigeaient de plus en plus les ignorants en quête de lumière, les indécis en quête de direction, les scrupuleux en quête