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d’apaisement. La Révolution, en fauchant à travers les lois et les traditions comme à travers les vies, avait créé toute une série d’iniquités nouvelles, toute une série de situations nouvelles aussi. Il y a les pécheurs à réconcilier, les rétractés à réintégrer dans le ministère ecclésiastique, les assermentés à combattre sans les pousser à bout, les acquéreurs de biens nationaux à réprouver sans les exaspérer. Il y a à régler toutes les questions d’ordre religieux que soulève par contre-coup une législation toute transformée. Il y a à tenir compte de toutes les déviations de conscience qui sont le fruit des dissensions civiles, le résultat des vies désorientées, la conséquence des agitations politiques. De là une jurisprudence canonique à établir. A fixer cette jurisprudence, l’abbé Emery s’appliquait, mais non sans de cruelles perplexités, tant il se sentait partagé entre la rigidité théologique qui défendait d’amnistier et les extraordinaires vicissitudes de l’époque qui conseillaient des ménagements infinis ! Le plus souvent il penchait vers l’indulgence, repoussait les formules péremptoires, recommandait les atermoiements. Ainsi parlait-il, en termes souvent un peu vagues et qui contrastaient avec sa précision ordinaire : c’est qu’il craignait avant tout de briser. Combien ne se sentait-il pas plus à l’aise quand, il n’avait à trancher que des questions de conduite ou d’opportunité ! Alors, avec un tact sur qui eût fait honneur au plus délié des hommes d’état, il reprenait ses maximes favorites qui étaient l’acceptation du gouvernement établi, l’usage avisé de toutes les libertés concédées, l’action individuelle au jour le jour, dans la patience, le travail, l’humilité.

Cette humilité, l’excellent prêtre en donnait le continuel exemple ; et c’est même ce qui embarrasse aujourd’hui, tant il est malaisé de retrouver les traces de son action ! On sent partout son influence sans qu’il soit possible d’en saisir la trace matérielle. Il écrit, mais il ne signe point. Il suggère des avis ; mais loin de les publier, il les démarque. Il inspire, il anime les bonnes œuvres qui renaissent ; mais quand il leur a imprimé la vie, bien vite il se retire. C’est modestie, c’est finesse aussi ; car nul n’a plus que lui pénétré jusqu’au fond des âmes ; et il sait que les hommes, même les plus vertueux, aiment à paraître les inventeurs des idées qu’on leur a soufflées.

Ce prêtre éminent eut partout mérité l’influence. L’état de l’Eglise de France le rendait particulièrement précieux. Qu’on