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se figure les vides. Hormis une douzaine, tous les évêques ont pris le chemin de l’exil : sur ceux qui sont demeurés, quatre ont été massacrés, un a été guillotiné, plusieurs sont morts. Un autre, M. de Lorry, évêque d’Angers, traîne sa vie dans Paris avec un seul souci, celui qu’on l’oublie. Pour les fonctions épiscopales qui se reprennent, — confirmations, ordinations, — je note, en cette année 1796, deux noms, toujours les mêmes, M. de Maillé, évêque de Saint-Papoul, M. de Barral, ancien évêque de Troyes ; et ils sont, — le premier surtout, — hommes de sang-froid plutôt que de science. Tous les centres d’études ecclésiastiques ont été dispersés. Plus de bibliothèques, plus de livres. Les prêtres qui sont restés s’estiment heureux, s’ils ont pu garder leur bréviaire ; les prêtres qui rentrent ont assez d’être héroïques sans se préoccuper d’être savants. Ceux même qui ont beaucoup appris ont eu le temps de beaucoup oublier. En ce grand obscurcissement de lumières, il importe qu’on rencontre un régulateur des consciences, un mainteneur de doctrine, un directeur de conduite. Pour ce rôle, il ne faut pas seulement le savoir, la discrétion, le sang-froid, mais surtout, par-dessus-tout, la mesure, ce don bien français. Or, ce don de la mesure, l’abbé Emery le possédait plus que personne. Il savait condamner sans exaspérer, absoudre sans approuver. Il jugeait avec une pareille égalité d’âme l’ancien régime où il avait vécu heureux, et le régime nouveau qu’il ne faudrait ni méconnaître ni combattre si, à force de patience, on en pouvait obtenir la liberté. En l’Eglise de France, ce prêtre, si attentif à s’envelopper de voiles, fut, comme on l’a dit, une manière d’Eminence grise, tandis que toutes les Eminences rouges étaient en exil. Les Eminences grises ont rarement résisté à la tentation d’étaler leur éminence. Lui, il cacha toujours la sienne et par cette modestie même garda son crédit ; car les influences secrètes ne se consolident qu’à la condition de demeurer secrètes ; et elles s’évanouissent le jour où elles se publient.

Dans l’histoire de l’Eglise on retrouvera plus d’une fois le nom de cet homme. Il sera mêlé à toute la reconstitution du culte qu’il suivra avec une anxiété contenue et passionnée. On le verra, en la première année du siècle nouveau, ressusciter, sous une forme bien imparfaite encore et en un local de fortune, le séminaire Saint-Sulpice ; et il aura la consolation d’y noter parmi les maîtres M. de Frayssinous, parmi les premiers