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se montrait dans toutes les circonstances graves et auquel on ne prenait jamais garde. Ici encore Maupassant avait raccordé à Une Vie un conte ancien, Par un soir de printemps, publié par le Gaulois du 7 mai 1881, où cette même tante Lison jouait le même personnage et servait d’occasion à une scène d’émotion douloureuse que le roman reprenait dans les mêmes termes.

Cette série de comparaisons n’est-elle pas décisive ? Une Vie a été composée comme une mosaïque dont Maupassant s’est emprunté à lui-même les morceaux, et, sans compter qu’on pourrait trouver d’autres rapprochements au point de vue des personnages ou des paysages, il n’a pas fait entrer moins de quatre contes antérieurs dans la trame de celui de ses romans qui, à l’exception de Pierre et Jean, parait offrir la plus grande unité. Il y a dans cette composition une gageure, mais elle est gagnée, puisque, de l’aveu de tous, le roman est un chef-d’œuvre.


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Ce chef-d’œuvre fut commencé sous la forme du « Vieux Manuscrit. » A quelle date ? Rien, ni dans le texte, ni dans la correspondance publiée de Guy de Maupassant, ne permet de la préciser avec une certitude absolue, et l’on en est réduit à des conjectures, dont l’intérêt, assez médiocre, ne vaut pas d’ailleurs qu’on les discute. Entre le « Vieux Manuscrit, » qui trouve Jeanne au couvent et la conduit jusqu’aux jours qui suivent le voyage de noces, et le texte publié, les différences sont considérables. Le sujet est le même, avec les mêmes principaux personnages, qui s’agitent dans le même décor et y jouent souvent les mêmes scènes que l’auteur s’est borné à recopier, mais d’un texte à l’autre, la composition, simplifiée et allégée, a gagné en maîtrise, en force et en émotion. Il s’en faut pourtant que l’on prenne son parti de tous les sacrifices consentis par Maupassant, et je crois servir sa mémoire en restituant à Une Vie des scènes entières qui n’en auraient diminué ni l’intérêt ni la valeur.

Le roman, dans les deux versions, nous jette tout de suite in médias res et entre sans préambule dans l’action : c’est la façon habituelle de Maupassant. Mais les débuts ne sont pas les mêmes. Le texte publié prend Jeanne déjà installée chez ses parents, prête à partir pour le château des Peuples dont son père veut lui faire la surprise. Le « Vieux Manuscrit » la trouve encore au couvent.