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et de mauves d’une délicatesse infinie, de bleus pâles dans les lointains. Et, sur ces instables et mouvants tissus, se détachent des montagnes fantômes. Elles s’alignent au bord de l’horizon comme des groupes d’offrandes, à la cimaise d’un temple : des trépieds, des candélabres ; des cônes et des triangles mystiques de la Déesse. Et puis tout s’efface dans les brumes lumineuses du couchant…


* * *

Par un sentier qui longe quelque temps le bord escarpé de l’oued, je gagne les deux grandes basiliques chrétiennes, qui, au Nord du forum, sur un espace considérable, déploient les colonnades de leurs nefs, l’enchevêtrement de leurs absides, de leurs atriums, de leurs chapelles latérales et de leurs cellules monastiques. Il y avait là des couvents et, comme toujours, autour des sanctuaires, des sépultures, de véritables nécropoles. Malgré les indigènes qui ne cessent de détériorer et de mutiler tout ce qui reste debout, les chèvres et les vaches qui viennent brouter l’herbe maigre poussée entre les pavés, — en somme l’abandon complet de ces basiliques sous la surveillance purement décorative d’un gardien arabe qui borne ses fonctions à exhiber au passant la plaque de cuivre officielle, — ces ruines chrétiennes sont parmi les mieux conservées que j’aie vues en Afrique.

Mais on peut prédire leur disparition à bref délai. Si l’on n’y prend garde, ces vestiges si émouvants, d’une couleur si chaude, d’un charme si naïvement antique et d’un si haut intérêt documentaire, vont être encore une fois réenterrés. Comment les catholiques, à défaut des archéologues, ne s’en préoccupent-ils pas ? Pourquoi ceux d’Algérie et de Tunisie n’ont-ils pas encore organisé une ligue pour la conservation de leurs antiquités ? La création de « l’Œuvre des Basiliques africaines » s’impose. Elle est nécessaire pour la plus grande beauté de l’Afrique, pour la continuité de la tradition et aussi pour le bien matériel du pays. J’en appelle aux évêques et au clergé d’Algérie et de Tunisie. S’ils le voulaient, ils pourraient attirer, chaque année, des centaines de milliers de pèlerins et de curieux.

L’Amérique et l’Angleterre défileraient à Tipasa, à Tigzirt, à Tébessa, à Carthage, à Sbéïtla, en une foule d’autres endroits où les ruines chrétiennes sont non moins nombreuses et