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la disposition aussi est différente, l’intérieur et les bords de la vasque baptismale étaient tapissés de mosaïques aux tons éclatants et aux motifs ornementaux d’un caractère archaïque et primitif, qui rappellent les broderies des étoffes indigènes. Une fois de plus, on le constate : tout ce que nous croyons arabe ou oriental n’est que du berbère ou du romain.

Les grandes mosaïques des nefs et des absides offrent la même simplicité et la même richesse ornementale. Ces tapis de fraîcheur, qui s’étendaient sous les pieds nus des fidèles en prière, avaient l’éclat des laines qui, aujourd’hui encore, dans les tapis d’Orient, composent ces étranges bouquets d’arabesques et de couleurs. Malheureusement la destruction qui menace les basiliques de Sbeïtla menace aussi ces précieuses mosaïques. Morceaux par morceaux, elles se défont sous les pieds des troupeaux et des touristes. Je ramasse quelques petits cubes rouges et bruns qui gisent sur le sol découvert, au milieu d’une grande plaie faite à une des mosaïques des nefs. Ils sont arrondis et deux au toucher, pulpeux comme les grains d’une grenade. Il suffit de les humecter légèrement, pour qu’ils se mettent à luire d’un éclat profond et translucide, comme les gemmes frottées par la peau de chamois du bijoutier…

Et tout en roulant dans ma main les petites pierres brillantes, je songe à toutes les autres mosaïques qui sont en train de se défaire dans la plupart des autres villes africaines. On les abandonne avec une négligence coupable et qui devrait être réprimée par une loi. Comment se fait-il, par exemple, que la célèbre mosaïque de l’Oued-Athménia, près de Constantine, ait totalement disparu, — cette vaste composition qui figurait une villa romaine avec ses dépendances, ses jardins, ses parcs, ses chenils, ses haras ? Il n’en reste plus, parait-il, que le souvenir, ou bien des descriptions purement littéraires et historiques, comme celle qu’en a donnée Gaston Boissier dans son Afrique romaine, ou enfin des dessins inexacts et fantaisistes publiés dans des recueils d’archéologie. Je tremble qu’il n’en soit bientôt de même pour cette admirable scène de chasse, que j’ai pu contempler, il y a six ans, a Hippone, dans la propriété Dufour. Il est peu de mosaïques qui présentent un pareil intérêt documentaire. C’est encore une œuvre unique en son genre, un tableau réaliste, d’une vie et d’une précision extrêmes, dont je me suis inspiré dans Sanguis Martyrum, pour décrire une