Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 59.djvu/801

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

clameurs de disputes… Et le lendemain, à l’aube, c’est le réveil délicieux devant les palmiers, les eucalyptus, les fleurs d’un jardin tout embaumé de senteurs printanières, dans la joie du ciel matinal et le halo nacré de la mer voisine.

Malgré son oasis fameuse, Gabès ne me retient pas longtemps.

Et pourtant cette oasis a des recoins, des détours ou des chutes d’oued, qui sont d’une réelle beauté. Sous les feuilles des bananiers et les parasols des palmes, circule tout un petit monde de jardiniers et d’agriculteurs dont j’ai essayé, ailleurs, de dire le charme un peu enfantin. Mais, — l’avouerai-je ? — je n’ai jamais été très ébloui par les paradis terrestres des oasis. Cette maigreur des verdures me déçoit toujours. Et puis, la saleté, la puanteur des villages blottis à l’ombre des vergers, ces marmots qui grouillent, parmi les porcs et les volailles, avec des mouches collées au coin des yeux, leur méchanceté sournoise, les regards hostiles ou méprisants du fellah, — tout cela m’impressionne désagréablement. Évidemment, cela doit les agacer, eux aussi, d’être traités par nous en bêtes curieuses. Quoi qu’il en soit, le milieu n’est pas précisément aimable et souriant pour un pauvre Roumi, qui erre, tout désemparé, à travers cette rusticité africaine. Fuyons ces rivages empestés et mal accueillants…


* * *

De Gabès à Gigthi, il me reste encore à faire, en automobile, près de cent vingt kilomètres : c’est aller chercher bien loin de problématiques merveilles.

Mais, dès que la voiture est lancée sur la route de Médénine, je suis conquis, tout de suite émerveillé. Je sens déjà sur mes lèvres le vent salé qui a traversé les chotts. Cette fois, c’est bien le Sud, ce sont les grands horizons dépouillés et splendides que j’aime plus que tout au monde. Ni Haïdra ni Sbeïtla ne m’avaient donné une impression désertique aussi complète. Des deux côtés de la piste, à perte de vue, des terrains fauves et cuivrés, qui se boursouflent et qui ondulent comme une houle de métal figé, et, dans les arrière-fonds, enveloppant de gazes ténues les belles montagnes africaines, de légères vapeurs imperceptiblement teintées de ces roses et de ces mauves qui sont la séduction indéfinissable du Sud. À la limite des terres, se déploient toujours ces étonnantes rangées d’offrandes, ces