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formes confuses d’architectures, de statues et de vases précieux, que j’avais tant admirées sur les degrés du temple capitolin de Sufetula. Tout cela flotte dans une brume très fine, lumineuse et attirante à la façon d’un mirage prêt à se dissoudre. Cela baigne dans une grande clarté radieuse, inépuisable, prodigue comme les sources mêmes de la lumière. C’est immobile et rayonnant, — un paysage d’éternité, qui vous exalte et qui vous enivre, où l’on a l’illusion de se sentir un maître, — le seul maître, — qui paraît fait uniquement pour vous, pour votre joie. Non, vraiment, les plus fameux paysages d’Europe, qui occupent votre pensée de choses particulières, qui vous font souvenir de celui-ci ou de celui-là, ne sont rien à côté de ce désert nu comme la main, où l’on est seul, où l’on n’a rien devant soi que l’espace et la lumière, à l’infini…

Dans le vent de la course vertigineuse, c’est un éblouissement, à mesure que monte le soleil matinal. Cependant quelques menues singularités finissent par détourner l’attention. Voici la petite oasis de Ménara, et, aux environs, des cavaliers en burnous, des familles de paysans Gétules entassées dans des chars à hautes roues ; là-bas, sur des mamelons, quelques ruines antiques : fermes, villas, forteresses byzantines… Enfin, voici Médénine, apparition étrange et funèbre au fond d’une cuvette sablonneuse. On recule tout à coup de deux mille ans à travers les siècles : les « mappalia » des Numides, telles que Salluste les a décrites dans son Jugurtha, surgissent devant vous, bâtisses primitives serrées les unes contre les autres, comme des stèles dans une nécropole. L’historien latin les a bien vues : ce sont effectivement des carènes de navires renversées, sans ouvertures, sinon un ou deux trous percés sur le devant. Elles sont ensevelies sous une épaisse couche de chaux. On dirait des habitations funéraires vides et abandonnées.

Une extraordinaire impression de mort se dégage de cette bourgade saharienne endormie sons son linceul de blancheur immaculée.


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Ce caractère de mort et de désolation s’accentue encore, dès qu’on est sorti de la cuvette relativement fertile où est bâtie Médénine. Plus on se rapproche de Gigthi, plus l’aspect de la plaine redevient désertique. Et cependant cette plaine