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de malheureux marins, menacés de périr, en appelant à Dieu et à Notre Dame. Et là, devant ces cadres dédorés, aux tableaux craquelés, usés par le temps, comme l’esprit de l’enfant, nourri déjà de chimère, dut vagabonder plus d’une fois à la vue de ces épisodes de nos annales maritimes : le dogre l’Aimable-Louise ou le navire la Gloire, perdus par gros temps loin du port ; le Bel-Amy, la frégate la Louise du Canada s’ouvrant mâts brisés sur les flots en furie ; enfin dans un appareil vraiment tragique, le trois-mâts le Saphir de La Rochelle, revenant de Saint-Domingue et tout près de sombrer avec son équipage. La première rencontre du petit Eugène avec l’Océan, cet Océan que, plus tard, dans Dominique, il semblera défier du sommet si élevé d’un phare, nous ne doutons pas qu’elle ne soit ici, dans cette chapelle, plus encore peut-être que sur ces quais du port au-devant desquels de lentes et paresseuses embarcations aux voiles bigarrées, rappelant par leurs harmonieuses couleurs celles qu’il admira longtemps après sur le Nil, vinrent un peu plus tard éveiller en lui le désir des voyages, le goût du désert et faire naître enfin dans son cœur ce « spleen lumineux de l’Orient » dont Théophile Gautier dit qu’il subit si complètement un jour la domination.


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Par une heureuse fortune, l’aspect de l’établissement de Lafond, la façade de son bâtiment central d’une grande simplicité, les plantations qui en précèdent l’accès, l’ombre des vieux arbres, le recueillement, surtout le repos qui apporte tant d’apaisement à ces maux de l’intelligence dont c’est ici le refuge, rien de tout cela n’a changé depuis ces lointains jours où l’enfant qui devait être Dominique, quittant l’habitation de la rue Dupaty, abandonna La Rochelle pour venir résider avec ses parents dans cette grande demeure. En ce temps-là, — 1829, — le petit Eugène n’était encore que le bambin heureux occupé, avec les petits paysans du voisinage, à tendre des pièges aux oiseaux. Tandis que, retenu par les soins de sa charge, le docteur Fromentin se renfermait dans ses études cliniques (un pavillon de Lafond, de nos jours, porte encore son nom) et que Mme Fromentin, de son côté, se tenait confinée chez elle, l’enfant, par une sorte de contraste que soulignaient encore la délicatesse de sa nature et la recherche de ses manières, se