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les filles des jeunes continents ! Le cher vieux logis paternel des Trembles, tout endormi, si tranquille, au pesant silence, comme il devait donc être surpris de tant d’ardeur, de vivacité, de jeunesse ! Cela, il n’était pas possible à Dominique de l’oublier : « Je vous montrerai, dit-il, tel coin du parc, tel escalier de la terrasse, tel endroit des champs, du village, de la falaise, où l’âme des choses insensibles a si bien gardé le souvenir de Madeleine et le mien que, si je l’y cherchais encore, et Dieu m’en garde, je l’y retrouverais aussi reconnaissable qu’au lendemain de notre départ. » Et ce regret, qu’il ressent à se promener aux Trembles avec son héros, Fromentin ne l’éprouve pas moins que Dominique. « Ma première visite à Saint-Maurice, écrit-il à Paul Bataillard au printemps de 1847 en revenant au pays natal trois ans après la mort de la jeune femme, a été un religieux pèlerinage à travers tout mon passé. »

Ce « religieux pèlerinage, » nous l’accomplissons à notre tour aujourd’hui ; ainsi que l’auteur lui-même le confiait à Paul Bataillard, ce passé de Dominique nous venons « pièce à pièce » le recomposer ; à l’aide des « débris épars au pied de chacun de ces arbres, » nous nous efforçons de redonner la vie aux années mortes ! Fromentin, comme Ruysdaël, comme Hobbema, comme Théodore Rousseau, ce grand rival en peinture auquel il témoigna toujours tant d’estime, honorait et aimait les arbres. Aux prises avec les assauts les plus rudes de sa destinée, durant les jours des pires détresses, c’est à eux, à ces gardiens de son passé, qu’il faisait toujours appel, comme aux seuls confidents, aux seuls amis capables de l’entendre ! Ses arbres, — ses tilleuls surtout, — comme il les aimait ! Au printemps de 1842, quand il se fut aperçu que ces tilleuls avaient été taillés par la tête au printemps, » il en ressentit un grand chagrin. Cela, dit-il, « leur a ôté un grand charme et m’attriste beaucoup. » Aujourd’hui, et depuis tant d’années, les chers vieux tilleuls sont devenus encore plus touffus, plus noueux, plus vénérables, et quand, de la terrasse, nous gagnerons le petit tertre d’où l’on voit la mer, c’est à l’ombre adoucie de ces tilleuls centenaires, que nous atteindrons le fond du pair. De cette limite, il apparaît toujours, comme dans le récit du maître, le « double horizon plat de la campagne et des flots… d’une grandeur saisissante à force d’être vide ; » et l’horizon de la ville, La Rochelle avec « la ligne de ses boulevards et l’extrémité de ses clochers d’églises, »