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ciel clair, ces vents tièdes dont il a parlé aussi dans le Sahara et dont il a dit qu’ils « formaient de légers murmures autour des joncs des marais, » devant d’autres marais, sous ce ciel d’Aunis, en été, est-ce que nous n’en éprouvons pas, nous aussi, la douceur ?

Par des échappées au-dessus du mur du cimetière, du côté du fort, non loin d’un carré de vignes, nous l’apercevrons, tout à l’heure, à nouveau, le grand paysage de chasse où Dominique vint, tant de fois, faire des battues avec M. de Nièvres. Au loin, nous reverrons les chars attelés de bœufs passer dans la campagne ; par les éclaircies, entre les haies vives, nous devinerons Laleu, enfin Vaugoin, le village où Fromentin avait aperçu tant de fois Madeleine jeune fille, où il vint un jour peindre fervemment l’une de ses très rares toiles inspirées par le site natal : Une ferme aux environs de La Rochelle ; et tout le paysage assez dépouillé, très sobre, aux grandes lignes, comme ramassé, comme cuit sous le soleil, c’est bien celui qui convient autour du tombeau du voyageur, à qui un simple tas d’herbes, allumé dans la brousse par des enfants arabes, et dont la fumée montait vers le ciel bleu, avait suffi une fois à rappeler l’image de cette campagne du pays où il repose.

Au sein de ce cimetière de Saint-Maurice, d’un touchant désordre de rosiers, de géraniums et d’herbes folles, à l’ombre de celle rangée de cyprès, dont les cônes affectent un accent italien, Eugène Fromentin, de tous les hôtes un peu hautains du logis des Trembles, n’est pas seul à reposer ; mais encore on peut dire que, par une sorte de rapprochement suprême, il y est avec tous les siens : sa femme, née Cavellet de Beaumont ; son père, le médecin de Lafond ; sa tendre mère, née Françoise-Jenny Billotte ; enfin, son frère Charles. Et puis, il est ici, bien un peu éloigné des précédents, à l’écart, comme il convient aux plus hautes pudeurs, aux plus grands deuils, le tombeau d’une autre morte, de celle qui fut Madeleine de Nièvres.

De Saint-Maurice, le mercredi soir 11 septembre 1844, Eugène Fromentin, deux mois après la mort de celle qui avait été l’héroïne de son œuvre vivante, écrivait, le cœur déchiré, à Paul Bataillard : « Je vais assidûment visiter le tombeau de ma pauvre amie. Vous comprenez à quel point Saint-Maurice m’est cher ! Je vous reparlerai longuement, de ces douces et pieuses visites. » Ah ! pauvre Dominique, malheureux héros ! Comme l’épilogue était venu, tout à coup, achever prématurément le