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surmulots. C’est pourquoi on voit ci on verra encore des épidémies pesteuses en Asie, tandis qu’en Europe on ne verra vraisemblablement jamais plus que des cas sporadiques.

Il n’en est pas moins vrai qu’il y aurait lieu d’entreprendre intelligemment la destruction des rats, surtout dans les ports et à bord des bateaux où divers moyens, et notamment la sulfuration et l’emploi de la chloropirine, peuvent rendre des services pour la dératisation.

Quant à la lutte contre les rats sous la forme qu’on vient de lui donner à Paris, j’avoue qu’elle me paraît soulever à certains égards quelques objections. C’est très bien d’avoir amélioré l’enlèvement des poubelles et de ne plus les laisser stationner indéfiniment sur les trottoirs, ce qui offrait aux rats une nourriture abondante, source d’une féconde pullulation. Il serait mieux encore d’imposer la fermeture hermétique desdites poubelles.

Excellente aussi est la prime fournie pour chaque rat tué. En revanche, ce qui est déplorable c’est la manière dont cette prime est distribuée, après transport obligatoire des animaux tués à travers la ville et jusqu’aux assises du distributeur de la manne administrative. C’est là le meilleur moyen, si le rat tué avait des puces et que ces puces fussent pesteuses, de contaminer la population.

Je suis persuadé que si l’administration avait daigné consulter le docteur Roux ou le docteur Calmette, avant d’élaborer ce règlement absurde, elle n’aurait pas eu sur ce point leur approbation.

Quoi qu’il en puisse être, les quelques cas de peste bubonique constatés naguère dans le monde des chiffonniers ne doivent pas nous inquiéter outre mesure. Le vaccin préventif de Haffkine et le sérum curatif de Yersin n’auront, croyons-nous, pas besoin de sortir de leur arsenal de verre. Un peu de propreté et d’hygiène y pourvoira. C’est parce que les malades y sont désinsectisés que le mot que me disait récemment le docteur Yersin est profondément vrai, sous son apparence de boutade : « C’est dans l’hôpital des pesteux qu’on risque le moins d’attraper la peste. »

Tels sont quelques-uns des fléaux exotiques dont il sied de nous garder aujourd’hui. À cet égard, l’hygiène et les méthodes pastoriennes sont des armes à la fois « nécessaires et suffisantes, » comme disent les mathématiciens.

Charles Nordmann.