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moindre allusion au Président du Conseil des ministres. Le Président du Conseil n’a pas été créé par la Constitution; il est né de l’usage; et un Président de la République qui voudrait se contenter de nommer des ministres respecterait la lettre constitutionnelle. Je ne lui conseillerais pas cette singularité, car il s’exposerait vite à être personnellement mis en cause dans tous les débats parlementaires. Mais enfin le droit strict autoriserait la suppression du premier ministre. Le jour où le premier ministre devient Président de la République, il n’y a donc aucun motif pour que ses collègues disparaissent. Il y a au contraire, un motif nouveau pour qu’ils restent. Un cabinet est solidairement responsable de sa politique générale devant les Chambres. Le témoignage de confiance que le Président du Conseil reçoit de l’Assemblée nationale s’adresse, qu’on le veuille ou non, aux autres ministres en même temps qu’à lui et il serait paradoxal qu’il désavouât lui-même cette solidarité en les congédiant. Déjà, en janvier 1913, un Président du Conseil des ministres a été élu Président de la République. M. Fallières, qui était encore à l’Elysée pour un mois, a conservé le Cabinet en fonctions et, après la transmission des pouvoirs présidentiels, un cabinet nouveau n’a pas été formé. M. Millerand avait donc pour lui, tout à la fois, le bon sens et les précédents.

Il n’avait qu’à choisir un ministre des Affaires étrangères et, pour se conformer à l’usage, un Président du Conseil. Il a confié les deux emplois à M. Georges Leygues, dont il avait pu apprécier, il y a vingt ans, dans le ministère que présidait Waldeck-Rousseau, les qualités de finesse et de courage. M. Georges Leygues a détenu avec succès, dans plusieurs cabinets, des portefeuilles variés; il a été, pendant les premières années de la guerre, président de la Commission des Affaires extérieures de la Chambre et, en 1917, il a été appelé par M. Clemenceau au ministère de la Marine. On peut donc dire qu’il a gagné ses grades un à un avant d’être élevé à la Présidence du Conseil. Mais il faut ajouter que, pendant les deux longues années qu’il a passées à la rue Royale, M. Leygues a fait preuve, en toute circonstance, de ce sens national que l’Assemblée de Versailles a voulu, le mois dernier, honorer en M. Millerand.

Lorsque M. Clemenceau lui a offert la direction d’un ministère militaire, une épouvantable angoisse oppressait, depuis plusieurs mois, l’âme de la France. La trahison rôdait autour de nous. Le Président de la République avait dû lui-même demander au Gouvernement l’ouverture d’une instruction contre Bolo, et les haines que lui avait attirées cette initiative s’accompagnaient, jusqu’à la tribune, de