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nouvelles, l’homme capable d’assumer un rôle aussi extraordinaire ?

Antérieurement, le chef de guerre était désigné soit par le Roi dans une monarchie, soit par le gouvernement dans une République, d’après des procédures diverses qui n’étaient plus guère applicables. L’Empereur ou le Roi, lui-même chef des armées, choisissait ses lieutenants d’après leur naissance, leur réputation, leurs services ou simplement selon la faveur de la coterie dominante ; la République avait généralement plus d’égard à l’ancienneté et aux services ; mais elle n’était à l’abri ni de la gérontocratie, ni du népotisme, ni surtout des influences résultant de l’alternative des partis. Dans la guerre de 1914, on devait voir l’empire d’Allemagne, parangon tant vanté du système dynastique, confier à des princes, et uniquement en raison de leur naissance, plusieurs des hauts commandements ; on devait voir des démocraties écarter certaines aptitudes reconnues pour ne pas contredire au verdict du corps électoral. Tant le problème est difficile !

Napoléon, quand il eut pris, en qualité de Premier Consul, la haute main sur le choix des généraux, se trouva en présence de la fournée de 1793. Il faut voir comment il la sabre dans ses fameuses « apostilles. » La formule est presque toujours la même pour ceux qu’il écarte : « N’a pas fait la guerre. » Car, à ses yeux, la guerre « est la meilleure école du commandement. » Dans l’apostille du 4 nivôse an VIII (4 janvier 1800), il écrit : « Le ministre de la guerre fera connaître au général N. que mon intention invariable étant de n’employer aucun officier qui n’ait servi activement pendant la guerre de la liberté, je pense, etc.. » Mais, quand il se prononçait ainsi, c’est-à-dire en 1800, la France était en guerre depuis huit ans ; l’armée avait déjà eu le temps d’accomplir, sur elle-même, une formidable sélection. On sait du reste parmi quelles difficultés le haut commandement s’était recruté, une fois les hommes de l’ancien régime disparus. Une incohérente partialité politique avait trop souvent présidé aux choix et il avait fallu chercher dans tous les grades, et jusqu’aux plus bas, pour en tirer les capacités qui finirent par s’imposer.

Bonaparte se connaissait en hommes : ses choix sont marqués à l’empreinte du génie. Mais comment procéder en temps normal, quand la paix dure depuis cinquante ans et que l’on se trouve jeté, sans une minute de répit, dans une étreinte immense