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monde travaille selon ses facultés, et mon idéal, puisque ce mot te plaît, ne serait pas éloigné de celui des saint-simoniens (devenus industriels, les Michel Chevalier ou les Pereire). À chacun selon ses capacités ! Que la société assure la puissance des hommes capables, car la capacité est un bienfait public. Mon utopie à moi est une source de force et un stimulant précieux pour cette société de rêveurs qui nous entoure. Soyons cent dès aujourd’hui à nous inspirer de ces principes, et je réponds que, dans cent ans, nous ne serons plus des exceptions, car l’activité est contagieuse, entraînante, prestigieuse ! » — Encore une fois, tout ce développement est entrecoupé d’outrances ou de crudités voulues par l’auteur et que nous en écartons, car elles sont comme des saillies difformes éparses sur un mur de solide construction rationnelle : saillies auxquelles le jeune Emile va pouvoir accrocher son échelle d’assaut, trop semblable par malheur à cette échelle mystique que Jacob contempla seulement dans son rêve.

Tout d’abord, le pauvre enfant demeure accablé sous l’étroitesse et la froideur de tant de lieux communs, lui qui espérait dans la bouche paternelle les manifestations d’un saint enthousiasme : mais enfin la parole lui revient pour plaider sa cause, ce qu’il fait à son tour en ces termes : « Vous exigez que je m’astreigne comme vous à pressurer le travail des hommes à mon profit. Quel sacrifice utile à l’humanité aurai-je accompli par cette occupation ? Fonder une colonie d’hommes libres, vivant en frères et m’aimant comme un frère, c’est là toute mon ambition. Que devient en effet le paresseux dans votre système ? » Il est étonnant de constater quelle sollicitude Sand a cru devoir témoigner aux paresseux pendant la période communiste de sa pensée théorique ! « Certes, poursuit Emile, dans une société parfaite, il pourrait être juste d’abandonner cet homme à la loi de répression, après avoir essayé de le corriger, parce que, là, le paresseux deviendrait une monstrueuse exception ! Mais, actuellement, combien de paresseux seraient chassés et abandonnés à leur sort ? » Et l’on ne voit pas pourquoi le petit nombre des paresseux qui subsisteront dans le paradis rousseauiste rendrait leur châtiment juste, s’il ne l’est pas aujourd’hui ?

Le jeune Cardonnet expose encore que l’amour du travail sans relâche et sans autre compensation qu’un peu de sécurité