Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 60.djvu/153

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à la foule dévote. On pressent qu’Umhlakaza devait être un exalté intelligent et ambitieux, sans doute demi-sincère et demi-charlatan dans son mystique effort vers le pouvoir. — D’abord les délégués de l’au-delà ne demandèrent que l’holocauste de quelques animaux : mais à mesure qu’on obtempérait à leurs ordres, ils devenaient plus exigjants, sans doute parce que la surenchère est indispensable en pareille matière pour retenir l’attention et l’adhésion de la masse. Ils finirent par réclamer la mise à mort de tout le bétail et la destruction complète des provisions de grains, qui représentent le capital, la prévision de l’avenir dans ces sociétés primitives. C’était condamner le peuple à la famine future, mais le dispenser du travail présent. Et ils avaient de bien séduisantes promesses pour écarter le souci de l’avenir ! Aussitôt que le dernier bœuf serait égorgé et le dernier épi brûlé, la face du monde changerait : le jour fixé pour le commencement des temps nouveaux verrait paraître deux soleils à l’horizon oriental : d’innombrables troupeaux descendraient alors des montagnes voisines dans le pays des Kosas et la terre se couvrirait spontanément de moissons abondantes Quant aux autres peuples, aux rivaux dans la lutte vitale, Cafres, Hottentots (les frères de race tout d’abord) et colons blancs, le ciel les écraserait ! Aucun des leurs ne survivrait et les Kosas, élus privilégiés des puissances métaphysiques, resteraient seuls à jouir des délices d’un véritable paradis terrestre.

Les prophéties d’Umhlakaza se répandirent et triomphèrent de toutes les résistances. Le roi des Kosas, les principaux chefs furent conquis et donnèrent l’exemple de la soumission. Une frénésie destructive s’empara de la nation entière : toute la contrée devint un vaste abattoir à la lueur de l’incendie des récoltes. On massacra plus de deux cent mille têtes de bétail : la viande pourrissait sur le sol. En vain les administrateurs anglais des indigènes soumis par les armes britanniques s’efforcèrent-ils de calmer cette fureur de dévastation : les arrêts du gouverneur, les sermons des missionnaires ne purent arrêter les ravages d’un fanatisme irrésistible. — (Les Doukhobors russes, chers à Tolstoï, ont donné des spectacles de ce genre aux Anglo-Saxons du Nouveau-Monde quand on les y eut établis à grands frais sur des terres fertiles).

Le grand jour approcha enfin (on sait que chez nous c’est le grand soir). La nuit qui le précéda fut remplie par des chants