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ou danses extatiques, malgré les souffrances déjà subies jusqu’à ce moment. Enfin le ciel commença de blanchir au Levant : le peuple attendait, haletant ! Quand un seul soleil se montra, personne ne voulut admettre la terrible déconvenue. Umhlakaza s’était trompé d’heure, disait-on. A midi, le second astre paraîtrait avec les troupeaux et les moissons ; et l’on recommença de danser tant bien que mal. Il fallut pourtant reporter encore l’échéance au coucher du soleil. Mais à la nuit le désespoir saisit cette masse d’êtres fatigués par le jeûne. La plupart d’entre eux n’essayèrent pas de réagir contre le Destin et se laissèrent mourir sur place. Les plus énergiques, se nourrissant de racines et de chenilles, s’enfuirent vers les territoires voisins. Ceux qui tombèrent aux mains des tribus cafres furent tués ou réduits en esclavage. Les autres trouvèrent asile chez les colons blancs où des dépôts de vivres avaient été formés en prévision de la catastrophe imminente. Le pays fut presque entièrement dépeuplé. Dans la partie soumise aux Anglais, soixante-sept mille habitants sur un total de cent cinq mille périrent ou se dispersèrent : quant aux Kosas indépendants, ils disparurent presque jusqu’au dernier. Sir George Grey, gouverneur du Cap, dut songer à utiliser au mieux des intérêts de la Colonie les terres devenues vacantes : il les répartit entre les soldats de la légion germanique qui avait été recrutée pour la guerre de Crimée et qui était sur le point d’être licenciée. En sorte que des Allemands héritèrent dès lors de ces mystiques sociaux trop conséquents avec leur croyance. — Et nous aurions ici en raccourci l’histoire du socialisme romantique depuis les rêveries astréennes de Jean-Jacques dans la forêt de Montmorency jusqu’aux dévastations du régime soviétique et jusque plus avant encore dans la voie de la régression culturale, si, dans nos races de plus vaste expérience sociale, la raison, synthèse de cette expérience, ne conservait ses droits malgré tout et ne devait vraisemblablement se réserver le dernier mot.


ERNEST SEILLIERE.