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Les Sonnets et Madrigals pour Astrée sont de 1570. Ronsard avait quarante-cinq ans. Grison depuis quelques années, il n’était pas moins paillard que naguère ; mais il allait à plus de tendresse, il commençait d’aimer Mlle de Surgères, qu’il vit d’abord en 1568, et il venait de la belle Sinope, de la blonde Genèvre et de cette Isabeau de Limeuil, si attrayante, mais trop futile. Genèvre était cabaretière au faubourg Saint-Marcel ; et Sinope, une très noble dame de la cour. Il n’oubliait pas, mais il avait l’air d’oublier la « fleur angevine de quinze ans, » Marie, le meilleur émoi de sa jeunesse.

Quelle fut donc l’Astrée qui, tout un été, interrompt le prélude si deux de l’amour d’Hélène ? C’est le problème que vient de résoudre un érudit très attentif et bien récompensé, M. Gustave Charlier.

Dans le commentaire de Marcassus, on apprend que, sous le nom d’Astrée, pris à la fable antique, Ronsard dissimula « une des plus grandes dames de la cour. » Ce n’est rien apprendre ; et l’on savait cela, de Ronsard lui-même. On savait aussi, de Ronsard, le prénom d’Astrée, qui était Françoise, et le prénom de la sœur d’Astrée, Isabeau, après avoir lu la divine Élégie du Printemps.

Claude Binet, dans sa Vie de Ronsard, nous propose une devinette : Astrée, dit-il, était « une fort belle dame de la cour, dont le nom est assez embelli par le seul déguisement d’une voyelle changée en la prochaine première. » Y êtes-vous ? Cette voyelle première est un A, et la prochaine est donc un E. C’est un E changé en A : c’est Estrée changé en Astrée. Lisons Colletet : « Une belle dame de cette ancienne et illustre famille d’Estrées, dont il voulut déguiser le nom par le changement d’une seule voyelle en une autre. » Nous y sommes ! Et il ne s’agit plus que de trouver une Françoise d’Estrées, sœur d’une Isabeau.

Un critique récent la désigne ainsi : « la belle Françoise d’Estrées, » sœur d’ « Isabeau d’Estrées. » Par malheur, on ne connaît, au XVIe siècle, nulle Isabeau d’Estrées. Il fallait en chercher une et, faute d’en trouver aucune, renoncer à l’inventer. L’un des éditeurs de Ronsard se demande si Astrée ne serait pas « une des quatre aînées de la charmante Gabrielle. » Or, parmi les quatre aînées de la charmante Gabrielle, il n’y a point une Françoise. Il y a une Françoise d’Estrées, sœur, mais sœur cadette de Gabrielle, et qui épousa le comte de Sanzay. Seulement, M. Charlier note qu’elle naquit environ six ans après que Ronsard avait publié les Sonnets et Madrigals. Tant pis pour elle !

On vient à ne plus savoir si les Binet et Colletet ne se sont pas