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érudits, il faudrait qu’au moment de publier les Sonnets et madrigals, en 1578, Ronsard eût pris pour lui les soupirs et déclarations qu’il avait mis primitivement dans la bouche d’un autre » et qu’il eût alors « substitué son nom à celui de l’amant qu’il faisait parler d’abord. » Cela n’est pas probable, je l’avoue ; et même on peut écarter cette hypothèse tout de go. Mais, à mon avis, la question de savoir si Ronsard a vraiment aimé Astrée ne doit pas être posée, ou transposée, de cette façon rigoureuse. M. Laumonier dit que Ronsard écrivit les Sonnets et madrigals « pour son propre compte ; » et j’y consens, pourvu qu’on entende par-là que, dès 1570, Ronsard écrivait cette épitaphe destinée à son sépulcre :

Ronsard, voulant aux astres s’élever,
Fut foudroyé par une belle Astrée.

Le « Ronsard » du premier vers ne remplace pas un « du Gua, » je l’accorde. Ronsard, dit M. Charlier, n’exprime pas les sentiments d’autrui, mais au juste les siens. Conclurons-nous qu’il a vraiment aimé Astrée ? Si l’on chicane sur le sens que je prête à ce mot d’aimer, c’est à savoir s’il a aimé Astrée comme on sent bien qu’il a aimé Marie ou Hélène. Et je ne crois pas qu’on réponde oui sans nulle hésitation.

Ce qu’ont pu dire à ce propos un Claude Binet, un Marcassus ou un Colletet n’importe guère. Mais lisez les Sonnets pour Marie ou Hélène ; et dites si vous y sentez le vrai amour : assurément, vous le sentez. Après cela, lisez les Sonnets et madrigals pour Astrée : « les vers de Ronsard, dit M. Charlier, ont un accent personnel qui ne peut guère tromper. » Voilà ce dont je n’ai pas l’impression.

Les Sonnets et madrigals sont beaux, sont divertissants et, pour la plupart, me font l’effet d’un jeu subtil. Le plus amoureux est un que j’ai cité, le sonnet du baiser « tout glacé » qu’il a reçu de sa maitresse à son retour, baiser de Diane à son frère ou de fillette à sa grand’mère. Mais ce sonnet, si chaleureux pour accuser tant de froideur, appartient à un groupe de cinq poèmes que Ronsard a publiés, en même temps que les Sonnets et madrigals, dans l’édition de 1578, et alors sous le titre d’ « Amours diverses. » Premièrement donc, ces cinq poèmes et, parmi eux, le-Sonnet du baiser, n’appartiennent pas à la série des Sonnets et madrigals pour Astrée. Il est vrai que, dans l’édition de 1584, les cinq poèmes, d’abord intitulés « Amours diverses, » figurent sous la rubrique de « Supplément aux Sonnets et madrigals pour Astrée ; » mais il me semble que ce n’est