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« résurrection, » c’est-à-dire d’évocation où l’imagination a toujours une grande part ; mais intimité avec les faits assez vivants encore pour n’avoir besoin que d’être connus et vérifiés pour être compris, avec ceux-ci intimité patiente et continue, convictus, pénétration réciproque, vivre avec eux, en eux, les faire vivre en soi, en être imprégné, imbibé et débordant.

C’est une forme de l’amour du vrai, et Thiers a aimé la vérité très vivement ; c’est une forme de l’amour du clair, et Thiers a eu la passion de la clarté. Comme son héros, il détestait les « idéologies. » Dès les premières pages qu’il ait écrites, rencontrant la Déclaration des droits de l’homme, il en parle très dédaigneusement : « On parla de la nécessité et du danger d’une pareille déclaration… Il n’y avait ni utilité ni danger à faire une déclaration composée de formules auxquelles le peuple ne comprenait rien. » C’était plus encore ; c’était une sorte de nécessité que Thiers sentait de « satisfaire son intelligence. » — « Tous les esprits élevés, disait-il, me comprendront ; le plus grand des plaisirs humains, c’est de satisfaire sa propre intelligence ; c’est de dire ce qu’on croit vrai ; et s’il y a quelque difficulté et quelque péril, le plaisir est encore plus grand. » Or, son intelligence à lui ne se satisfaisait et ne se reposait que dans la connaissance la plus étendue et la plus minutieuse possible des faits exacts.

Cet amour du fait est devenu en lui, tout naturellement, la soumission intelligente aux faits, la soumission intelligente à la force des choses. Qui eût pressé Thiers en lui demandant le but que l’homme a à poursuivre, il me semble qu’il eût répondu : « L’homme est né pour faire des statistiques, pour les comprendre et pour se régler sur ce qu’elles indiquent. Celui qui a dit qu’il n’y a rien de bête comme un fait n’est qu’un homme spirituel, peut-être. Il n’y a rien de plus intelligent que les faits, parce que c’est eux qui savent le secret, et comment les choses vont et comment elles vont continuer d’aller pendant quelque temps, pendant peu de temps il est vrai, mais pendant tout le temps au-delà duquel il est inutile de porter nos regards parce que nous n’y verrions rien du tout. Sachons donc les faits pour nous y soumettre. L’homme intelligent n’est pas celui qui crée lui-même, qui invente lui-même quelque chose ; c’est celui qui fait ce que les faits eux-mêmes auraient fait tout seuls, et qui, seulement, mais c’est beaucoup, hâte un peu