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relativement légère dans les conditions actuelles, serait quelquefois colossale, et la production insuffisante serait quelquefois extrême, et l’irrégularité actuelle dont on se plaint serait dix fois plus grande, et les maux qu’elle entraine dix fois pires.

De plus, ce qui fait cette irrégularité funeste, c’est sans doute l’incertitude sur la production suffisante, insuffisante ou excessive ; mais c’est beaucoup plus, sait-on quoi ? Les inventions. On produit telle chose à vendre à un franc le mètre. Quelqu’un invente un moyen, machine ou procédé, qui lui permet de l’offrir à cinquante centimes. Son moyen l’enrichira, ruinera tous ses concurrents, et jettera au chômage pour un temps assez long tous les ouvriers de ses concurrents. Voilà la principale cause des chômages. Eh bien ! l’État, seul chef industriel, n’inventerait pas. Ne sentant le besoin de ruiner aucun concurrent pour s’enrichir, il resterait toujours sur ses anciens procédés, et ne sentirait aucun besoin d’innovation. Le progrès s’arrêterait net.

— Que nous importe ?

— D’abord il importe peut-être à l’humanité ; mais laissons-la, et ne nous occupons que de nous, que de vous. Sommes-nous seuls ? Cette invention que l’Etat, parce qu’il n’aura aucun intérêt à la faire, ne fera pas, elle sera faite ailleurs, là où le système de la concurrence industrielle subsistera. Dès qu’elle sera faite ailleurs, elle nous envahira, quoi que nous fassions. Il n’y a pas d’armée de douaniers qui puisse arrêter à nos frontières une chose à vendre, qui coûte un franc chez nous et cinquante centimes ailleurs. Certes, je suis protecteur ; mais la protection ne peut s’appliquer que quand la chose à vendre ; produite par nous, coûte seulement un peu plus cher que la chose à vendre similaire, produite par d’autres. Dans les conditions que nous venons de supposer, c’est un protectionnisme à outrance, et la moitié de la nation occupée à empêcher l’autre d’acheter à bon marché, qu’il nous faudrait. C’est impossible. Ce qui serait nécessaire, une fois établi l’Etat unique industriel, et. Par conséquent non inventeur, ce serait que le même système, la même armée, s’établit partout, et solidement, irrévocablement, pour toujours.

Et nous voilà au point. C’est ici que tout système socialiste nous amène. Le socialisme a besoin de l’abolition des patries. Il ne peut pas s’établir sur un point. Il ne peut s’établir que nulle