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Doctrine très probablement juste, puisque c’est ainsi qu’ont toujours été constituées, au fond, et nonobstant des différences plus ou moins grandes, les nations fortes dont l’histoire a conservé le souvenir. Doctrine à peu près nécessaire en tout cas, tant que le nationalisme, que nous rencontrons ici encore, existera. Car la rivalité entre les nations existant, chacune n’est forte assez pour se garantir des autres qu’à la condition de cette rivalité ou émulation intérieure entre les citoyens, leur faisant donner le maximum d’effort et les fouettant. L’État seul propriétaire, c’est tout, comme l’Etat seul industriel ; c’est parfaitement possible, mais ce n’est possible que si c’est réalisé à la même époque dans le monde entier. La nation qui réaliserait la première l’une ou l’autre de ces réformes s’affaiblirait au milieu des autres d’une façon si sensible qu’il est probable qu’elle disparaîtrait. Ce serait pour elle le plus grave, le plus général et le plus profond des désarmements. Pour l’abolition de la propriété comme pour l’industrie aux mains de l’Etat, il faudrait donc commencer par s’entendre entre habitants de la planète. La nationalisation du sol comme la nationalisation du travail sera universelle ou elle ne sera pas. Ces considérations n’arrêtent point le théoricien qui raisonne dans l’absolu, elles arrêtent l’historien qui tient compte de ce fait important qu’il existe des nations, et qui raisonne pour un siècle, et non pour un siècle quelconque, mais pour celui où il est.

C’est à cause de ces considérations que Thiers a repoussé énergiquement toute espèce de socialisme. Il avait coutume de ramener à trois types les différents systèmes socialistes qui se recommandaient de son temps à l’opinion publique. Il y a, disait-il, trois socialismes. Le premier, c’est le communisme, le second, c’est le prêt au travail, le troisième « n’est rien. »

Par le premier, il entendait l’exploitation en commun de la terre, ce qui, prenant plus de précision, est devenu dans les écoles modernes la nationalisation du sol ; et nous venons de voir ce qu’il en pensait.

Par le second, il entendait le capital venant au devant du travail, se mettant entre ses mains sous forme de prêt à longue échéance et sans intérêt, on un mot une subvention de l’Etat à la classe ouvrière. Il y voyait, de quelque façon que les théoriciens socialistes présentassent cette opération, un pur don de l’Etat, favorisant une classe aux dépens des autres, privilégiant