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puissent invoquer. Il faut donc avouer que le Cubisme, le Futurisme et même le Dadaïsme sont l’art de l’avenir ou que ces raisons ne valaient rien.


II

C’est qu’en effet elles ne valaient rien. Et pour peu qu’on les soumette à la méthode expérimentale, leur vanité paraît. La première, par exemple, car c’est celle qui intimide le plus l’opinion, est cet axiome : Tout mouvement nouveau en art est un progrès. Les écoles les plus assurées de l’avenir sont donc les plus avancées. D’où, la terreur où vit le « bourgeois » de ne point paraître assez avancé. « Mais qu’est-ce qu’être avancé, » sur cette piste circulaire des évolutions esthétiques, où l’on tourne depuis environ cent cinquante ans, de telle sorte que les éclaireurs d’avant-garde se trouvent tout d’un coup marcher sur les talons des pires traînards et par conséquent les suivre au lieu de les précéder ? Les opinions qu’on trouvait rétrogrades, il y a cent ans, sont précisément celles qu’on professe aujourd’hui, et il n’y a rien de plus vieillot ni de plus démodé que les théories révolutionnaires d’alors, des Guérin ou des Girodet-Trioson. Etre avancé, sous le Consulat, c’était mettre Chardin au galetas, mettre en devants de cheminée les Watteau que nous admirons et porter aux nues les pastiches gréco-romains qui nous ennuient, c’était dénoncer au public les scènes galantes qui sont pour nous, qui étaient pour Rodin, de délicieuses expressions de vie et de mouvement, et c’était promettre l’immortalité aux Fabre et aux Girodet… Etre avancé, chez les Fauves de ce temps-là qu’on appelait les Barbus, c’était taxer de rococo Euripide, — oui, Euripide ! — et donner comme le prototype de l’art sincère et « primitif » Ossian, — oui Ossian ! Veut-on un exemple topique ? En 1802, Mme Vigée le Brun est à Londres ; elle entend parler d’une diatribe d’un peintre anglais contre l’Ecole française, se la fait traduire et y répond de sa meilleure encre. Mépriser l’Ecole française ? Comment expliquer cela ? Ah ! sans doute c’est qu’on pense aux artistes démodés et « rococo » d’il y a trente ans : les Chardin, les La Tour, les Perronneau, les Boucher, les Greuze, les Fragonard ! Ceux-là, il est vrai qu’ils ne sont guère défendables : c’est la risée des ateliers. « Mais depuis cette époque, dit-elle, la