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vraie. Ainsi s’exprima surtout, en un langage qui paraît aujourd’hui aussi suranné que magnifique, un représentant qu’on appelait Lemérer : « Si toutes les religions, dit-il, ne sont pas écrites dans le ciel, toutes ont du moins le cœur de l’homme pour sanctuaire. » Il invoqua l’exemple des ancêtres, le respect du passé. Il rappela le droit des gens rendu plus doux, les lois devenues plus humaines, les hommes conviés à plus de charité, la mort elle-même adoucie et consolée. De la religion, les plus grands comme les plus humbles étaient les tributaires ; et « elle avait enchaîné l’imagination tendre et flexible de Racine comme elle avait subjugué la haute intelligence de Newton. » Pour compléter le tableau, on ne manquait pas d’évoquer l’église du village, les croix du cimetière, puis les cloches que l’on appelait naturellement l’airain sacré. Tel fut le discours, très éloquent par endroits, malgré ses boursouflures. Et aujourd’hui encore, on ne le lira point sans curiosité. On eût dit que déjà flottaient dans l’air quelques-uns de ces effluves poétiques que Chateaubriand fixera, en y mettant sa marque, dans le Génie du christianisme.

Le projet eut d’autres avocats plus soucieux des réalités : tel Boissy d’Anglas qui, fort assagi, se fit, non sans exciter quelque surprise, le défenseur des prêtres déportés ; tel Pastoret, qui railla les pieux prosélytes de l’intolérance. Sur ces entrefaites, un homme se leva, qui, par la maîtrise de sa parole, résuma, en le renouvelant, le débat presque épuisé.

On l’appelait Royer-Collard. On ignorait tout de lui, même son nom que les journalistes écrivaient tantôt Royer-Colaud, tantôt Royer-Colas. Comme Camille Jordan avec qui il devait se lier de la plus étroite amitié, il était jeune ; comme lui, il avait traversé les mauvais jours sans faiblir ; comme lui, il avait, dans le spectacle de l’iniquité, puisé l’ardent désir d’une intégrale justice ; comme lui, il était d’âme désintéressée, de conscience droite, d’esprit méditatif attiré naturellement vers les sommets. Et vraiment ce fut pour la liberté religieuse une fortune digne d’elle que de trouver, en son premier effort de renaissance, Camille Jordan pour la proclamer et Royer-Collard pour la défendre.

Le discours commença par un hommage à la religion catholique : « L’éducation domestique, la persuasion, l’habitude, en ont gravé l’ineffaçable empreinte. Un moment, elle a semblé