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de l’autre. Comme les ministres n’avaient point entrée dans les assemblées délibérantes, on n’avait pas la ressource de ces interpellations, de ces débats contradictoires qui, se résolvant en un changement de cabinet, permettent de modifier le gouvernement sans le renverser. En cas de désaccord, nul dénouement, hormis le combat à outrance. Que si les Conseils voulaient s’aboucher avec le pouvoir exécutif, la Constitution n’autorisait d’autres communications que les messages ; et à ces messages, le Directoire ne répondait qu’à son gré, c’est-à-dire tardivement, évasivement ou insolemment.

Déjà, au Luxembourg, Barras et ses deux complices dédaignent de dissimuler. Bonaparte a, le 14 juillet, adressé à son armée une proclamation menaçante contre le Corps législatif : cette proclamation, le Directoire l’insère en première page dans sa gazette officieuse, le Rédacteur. Les divers corps de l’armée d’Italie ont rédigé dans le même temps des protestations violentes contre les Conseils : ces protestations sont envoyées aux autorités dans les départements. Cependant Augereau est arrivé d’Italie, il vient de prendre le commandement de la division militaire. Il faut donner le change. Bien vite, les officieux dénoncent les complots parlementaires ; et les cafés, les lieux publics se remplissent d’agents provocateurs qui flétrissent les bavards, les fauteurs d’intrigues, les protecteurs des prêtres.

Aux Conseils, tout échappe ; car ils n’ont ni l’armée qui est décidément hostile, ni la garde nationale qu’on n’aura pas le loisir d’organiser. La garde spéciale que la Constitution a créée pour la protection du Corps législatif est elle-même peu sûre, car elle est composée d’anciens gardes-françaises, d’anciens grenadiers de la Convention ; et les inspecteurs de la salle n’ont pas eu le temps de l’épurer. A défaut de force matérielle, le Corps législatif peut-il compter sur l’opinion ? Sûrement, la majorité de la nation est hostile au Directoire. Mais huit années de révolution ont tout lassé ; beaucoup de clairvoyance, quand il s’agit de discerner le mal, et de mortelles langueurs, quand il s’agit de le combattre. La malveillance se traduit par des dédains, des silences méprisants, ou bien encore par des bons mots qui crépitent comme une flamme courte et vive à travers le bois mort. On fronde tout et on se soumet à tout. Puis la Révolution, bien qu’on ait souffert par elle, tient à cœur, et parmi ceux qui la combattent, nul ne voudrait la détruire tout