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qu’elles n’y peuvent joindre. » C’est un mot à la Jeanne d’Arc, dites-vous, et vous vous demandez ensuite quelle part peut avoir celle qui l’avait prononcé dans la campagne des dragonnades. Vous répondez nettement : « Aucune, » et l’on continue à croire que vous avez raison.

On y incline d’autant plus que le projet de la création de Saint-Cyr semble bien dater de cette époque et qu’il dénote, chez la fondatrice de cette célèbre maison, la disposition d’esprit la plus contraire au compelle intrare, conseillé par Bâville et pratiqué par Louvois. Mme de Maintenon avait cinquante ans lorsqu’elle commença, suivant votre judicieuse formule, « de se vouer à une autre œuvre de réforme, à propager, pour un petit peuple à elle, ses cent quatre-vingts filles de Noisy, les clartés conquises au cours de tant de vicissitudes et d’expériences. Et pour ce petit peuple, on bâtissait Saint-Cyr. » Le meilleur et le plus intime de cette femme exceptionnelle tient dans les mots que j’ai soulignés. Ce que la vie lui a douloureusement et triomphalement appris, c’est à se replier sur elle-même et à s’adapter, La petite huguenote a dû renfermer sa conviction d’abord, puis s’adapter au couvent catholique. La demoiselle pauvre a dû comprimer ses aspirations sentimentales et s’adapter au monde un peu équivoque, recruté par le génial bouffon qui l’a sauvée de la misère. La belle jeune veuve, aux moyens toujours médiocres, a dû se restreindre et s’adapter aux exigences des sociétés qui voulaient bien la recevoir. Elle a dû s’adapter aux coulisses de la Cour, quand elle est entrée à Versailles, avec la charge d’élever les bâtards royaux. Pour aller plus loin et parvenir au plus inespéré des mariages, quelle surveillance de soi n’a pas été nécessaire et quelle entente des caractères ! Cette discipline quotidienne de tant d’années a développé chez elle un goût singulier, celui de la direction. Elle veut enseigner à des jeunes filles de noble naissance comme elle, dénuées comme elle et incertaines de leur avenir, l’art qui fut le sien, de se dominer, et de se développer en harmonie avec les nécessités françaises de l’époque. Elle les façonnera d’après son propre type, et, une fois façonnées ainsi, les établira. Vous nous montrez avec ce don de la vie qui anime tout votre livre, ce que cette direction fut pour elle : son vrai roman. Je ne vous dirai pas que vous nous la faites aimer. Mais nous ne pouvons pas, votre livre fermé, ne pas la considérer comme un être d’une très rare et très noble qualité morale.

Cette noblesse innée ne fut-elle pas gâtée en elle par ce qu’il faut bien appeler d’un vilain mot si souvent employé à son propos, l’esprit d’intrigue ? Ses ennemis, — et elle en eut d’implacables, — l’ont