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morale et intellectuelle. C’est par la constante pénétration des idées françaises, de l’esprit français, que la Pologne, en dépit des influences russes et allemandes, est restée essentiellement une nation occidentale. Si ce courant venait à s’interrompre, ou même à se ralentir, quelle que soit la force de résistance d’une longue tradition, c’en serait bientôt fait de l’occidentalisme des Polonais.

J’ai déjà dit qu’il entrait dans le dessein politique des Empires centraux d’isoler le plus complètement possible la Pologne des pays d’occident auxquels la rattachent ses affinités naturelles et les plus glorieuses traditions de son histoire : pendant les quatre années de la guerre, cet « internement moral » fut absolument réalisé. Avec quelle joie profonde, avec quelle ardeur enthousiaste la Pologne redevenue libre a tendu vers ses défenseurs d’hier, vers ses amis de toujours ! Mais quoi ! pas de frontière commune, des communications longues et incertaines, des relations économiques difficiles à établir, et que dire des relations intellectuelles ?

Des professeurs, des hommes politiques, des journalistes polonais, qui aiment et admirent l’esprit français pour sa clarté, sa vigueur et son extraordinaire puissance de pénétration, m’ont exprimé tour à tour leurs inquiétudes et leurs désirs. Le recteur de l’Université de Lublin préconise, entre la Pologne et la France, un échange de professeurs analogue à celui qu’un accord récent a stipulé entre la France et l’Italie : le système serait appliqué, non seulement aux Universités, mais encore aux lycées des deux pays. A Varsovie, le professeur Askenazy m’a demandé s’il ne serait pas possible d’établir, entre les étudiants et les collégiens de France et de Pologne, des correspondances familières, propres à éveiller la curiosité et la sympathie des uns pour les autres ; il avait entendu dire que les lettres, échangées pendant la guerre entre jeunes gens français, anglais et américains, avaient donné les plus heureux résultats. On souhaite encore que les savants, les lettrés, les hommes politiques français viennent donner des conférences en Pologne, tandis que des Polonais de même qualité seraient invités à en donner en France, à la condition toutefois que les uns et les autres s’élèvent au-dessus des questions trop particulières à leur pays et à leur milieu et traitent, dans un langage simple, des sujets suffisamment généraux pour que leur auditoire en saisisse