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par la France. Mais, on admettant qu’on s’attendît au succès de Wrangel et qu’on jugeât utile de seconder ses efforts, il n’y avait aucune raison sérieuse pour le reconnaître, surtout isolément et contre l’avis du Gouvernement britannique, et au risque de mécontenter gravement celui-ci. Cette reconnaissance créait entre Wrangel et nous une solidarité périlleuse et risquait de faire de sa déroute éventuelle notre propre défaite. Elle était, en outre, contraire aux principes les plus élémentaires du droit international. Pour qu’un Gouvernement obtienne une reconnaissance de fait, il faut, au moins, qu’il exerce une autorité effective sur le pays au nom duquel il prétend parler. Reconnaître comme Gouvernement russe un pouvoir qui non seulement était précaire, mais était cantonné sur une parcelle infime du territoire russe, c’était une mesure qui heurtait le bon sens. Nous aurions eu tout intérêt à ne pas nous précipiter, tête baissée, dans cette aventure. Sans revenir autrement sur le passé, mettons-nous aujourd’hui en face d’une réalité qui est loin d’être satisfaisante. La conquête de la Crimée a naturellement exalté l’orgueil des Commissaires du peuple. Ils ont, tout de suite et non sans vraisemblance, considéré comme écrasées, à leur tour, les troupes de Savinkof à l’Est de la Pologne et celles de Petlioura, en Ukraine. Ils ont repris, sur un ton plus hautain, leurs pourparlers commerciaux avec Londres. Ils se sont regardés comme les maîtres de l’Europe. Rien ne nous dit que d’ici au printemps, ils ne s’entendront pas, de nouveau, avec l’Allemagne pour déchirer le traité de Riga et pour se jeter sur la Pologne. Lisez, dans les éditions Bossard, la petite brochure où viennent d’être reproduits les documents publiés par le Committee of public information des États-Unis sur les relations des chefs bolchévistes avec l’Allemagne pendant la guerre. Voyez le rapport dressé par le département national des études historiques à Washington sur l’authenticité de ces pièces. Vous serez fixés sur le rôle joué, pendant les hostilités, par Lénine et Trotsky. La révolution bolchéviste a été préparée par l’état-major allemand et soutenue financièrement par la Banque d’Empire. Il est donc loisible aux Soviets de renouer des liens qui n’ont jamais été rompus. Laisserons-nous s’élever ainsi de nouvelles menaces contre la paix de Versailles?

Profitons au moins du répit que nous donne l’hiver pour aviser et pour avoir avec l’Angleterre, l’Amérique, l’Italie et nos autres alliés une conversation approfondie qui nous permette enfin d’accorder notre politique vis-à-vis de la Russie. Il semble que, depuis plusieurs mois, nous jouions les uns et les autres à cache-cache et que nous soyons