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laissaient toujours pendant, malgré leurs protestations, le grand problème de la morale, en niant la liberté. Ces fervents de la science et de la civilisation ne se rendaient pas compte qu’ils en ébranlaient les fondements et qu’ils livraient le monde à la brutalité déchaînée des instincts, en niant, en somme, l’idée de sacrifice avec l’idée religieuse qui en est le support, comme elle est la clé de voûte de tout.

C’était bien pis, si l’on descendait aux formes inférieures du scientisme, tel qu’il se manifesta chez les écrivains naturalistes et en particulier chez Zola. Une basse crédulité scientifique rétrécissait encore chez ceux-là le champ de l’intelligence. Le contenu de l’esprit humain se réduisait à quelques grossières hypothèses acceptées comme article de foi, — son idéal, si l’on ose dire, à l’hypothèse plus invérifiable encore et plus invraisemblable d’on ne sait quel progrès indéfini. Finalement, ces manœuvres de la pensée aboutissaient à une sorte de religion de la nature considérée comme l’unique vérité, l’unique réalité, la source de l’unique bien auquel l’humanité puisse prétendre. Et c’était la bride lâchée aux pires instincts, sous prétexte qu’ils sont, eux aussi, dans la nature. La bête triomphait avec, l’avènement de la raison. Comme le dit profondément François de Curel, dans la Fille sauvage : « La raison n’a pu nous affranchir de l’animalité qu’en nous conduisant au pied des autels. Veut-elle aller plus loin et nous installer sur l’autel même, elle n’y asseoit plus que la Brute… »

La brute est, par essence, révolutionnaire. Elle commence par se ruer et par saccager autour d’elle tout ce qui la gêne : les hommes, les institutions, les morales, les idées et les religions. Elle est plus redoutable encore, lorsqu’elle a des prétentions scientifiques. Or la science positive date d’hier : elle a le dédain du passé et de la tradition, qui n’est que l’expérience humaine capitalisés au cours des siècles. Si le naturalisme scientifique et révolutionnaire l’emportait, ce serait, avec notre histoire, l’acquis le plus précieux de notre race jeté à l’égout. Ou bien il sert à justifier l’assouvissement des plus bas appétits, ou bien, sous prétexte d’organisation rationnelle, de solidarité sociale, il courbe l’individu sous un esclavage impitoyable, tel que le monde n’en a jamais connu. Sous prétexte de mater les instincts, de discipliner les masses, il tue les esprits et les âmes : ou l’anarchie soviétique de la Russie actuelle, ou bien le