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Un Divorce, l’Étape, l’Émigré, pour montrer le dédale de contradictions, l’enchaînement de difficultés inextricables et de tragédies domestiques, les morts enfin, les dissolutions irrémédiables auxquelles est exposée une société par l’affaissement de ces réalités antiques et vénérables. Dans Cosmopolis et en une foule d’autres endroits, il reprend la même démonstration pour l’idée de patrie. Dans le Disciple, il avait déjà restauré, avec l’idée de liberté morale, celle de responsabilité. Dans le Démon de Midi, il affirme la nécessité d’une discipline de l’esprit et des mœurs, et, conséquemment, d’une autorité supérieure à toute discussion, d’un magistère infaillible qui règle cette discipline. Dans le Sens de la mort, il institue une expérience, qui, en face des droits de la raison, légitime une fois de plus les droits de la foi. Le sens de la mort y devient le sens de la vie. L’auteur y projette une éclatante et neuve lumière sur cette idée que la vie humaine n’est possible et le monde habitable qu’à la condition de se nier elle-même par le sacrifice, que la réalité est absurde sans le mystère qui parait l’absurdité même et qui pourtant lui donne l’unique sens possible. Et, d’une façon générale, on peut dire que l’œuvre entière de M. Paul Bourget ne fait que nous représenter sous une forme dramatique la nécessité sociale de l’ordre, de l’autorité, des aristocraties permanentes et traditionnelles, — le rôle vital des élites.

Ainsi, grâce à lui, le chantier de démolitions est déblayé. L’affreux cauchemar des ouvriers de mort est exorcisé- Le monde n’est plus un bagne où l’homme est condamné aux travaux forcés, sans but et sans espérance. L’idée barbare de Progrès indéfini et d’Evolution sans terme est remplacée par l’idée aristotélicienne de perfection. Pour le Stagirite, en effet, l’Infini équivaut à l’Indéterminé, c’est-à-dire au Non-être. Le véritable Absolu, c’est le Parfait. La Réalité suprême est achevée comme un chef-d’œuvre de l’art. Elle se suffit à elle-même. Elle existe en soi et par soi. Cette conception, toute baignée de grâce et de lumière parle génie grec, M. Bourget la rajeunit et la fait sienne. Il nous rapprend la voie véritable du progrès, qui est celle de la perfection. Il n’y a de progrès que dans le sens du parfait. Tout ce qui s’écarte du parfait, c’est-à-dire de l’ordre, de la beauté, de la bonté, de la vérité dans le domaine des institutions, des mœurs et des idées, doit être considéré comme une régression. Mais cet ordre ne se fonde que sûr le réel, sa méthode