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Annecy avait fait de grands préparatifs : arcs de triomphe dès le faubourg de Bœuf, décoration des rues transformées en galeries de verdure, déguisement de la troupe en costumes à l’antique, échafauds dressés pour les chantres et les musiciens, pièces d’artillerie placées sur les clochers. La ville avait emprunté mille florins, acheté à Lyon des vases précieux, des coupes, des bannières pour les offrir à la princesse. Les chars et cavalcades formant le cortège furent arrêtés devant Notre-Dame de Liesse pour les harangues et poèmes. Humbert Doucet parla au nom de la magistrature et de l’administration. Et Jacquemine Malbuisson, habillée ou plutôt déshabillée en nymphe, à la tête des dames et demoiselles, après une révérence, remit les clés de la ville à Mme d’Este et lui débita des vers que la chronique assure aussi bien tournés qu’elle-même. François de Sales, seigneur de Boisy, père du saint, commandait la milice que le duc passa en revue. Sa femme, qui était enceinte et qui faisait partie des dames d’honneur, fut si fatiguée et troublée que la grossesse en devint très lourde et qu’elle accoucha prématurément. J’ai entendu expliquer autrement la naissance au septième mois de saint François de Sales, par un prêtre de campagne dont la méthode hagiographique ne s’embarrassait pas de vraisemblance : « Saint François de Sales, assurait-il, était si pressé d’aimer Dieu qu’il naquit, avant terme. » Le saint devait plus tard, bien plus tard, prononcer à Annecy même l’oraison funèbre d’Anne d’Este ; mais il ne l’avait pas écrite et ne put se décider à l’écrire, attachant d’ailleurs peu d’importance à ces témoignages de la grandeur mondaine.

Après tous ces compliments, le cortège à cheval monta au château. Ainsi, le soir de ce mercredi 17 juillet 1566, Jacques de Nemours et sa femme assistèrent, de la terrasse, aux illuminations et entendirent les acclamations populaires. Ces acclamations durent se prolonger tard dans la nuit, car on fit liesse et bombance, si l’on en juge par les minutes conservées dans les études de notaires, et qui mentionnent des prêts consentis aux charretiers et portiers de la maison de Lorraine, lesquels, pour avoir trop festoyé, en avaient été réduits à emprunter au moment du départ. Si les nouveaux époux se purent recueillir dans ce tumulte, revécurent-ils leur passé, et, s’ils le revécurent, ce passé ressemblait-il à l’aventure passionnée contée par Mme de La Fayette ou ne peut-il se confondre avec elle ? C’est