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le parc pour gagner la grande route. Le village de Skuytercliff n’était distant que d’un kilomètre, mais il savait que Mrs van der Luyden ne marchait jamais, et qu’il rencontrerait la voiture en chemin. Un instant après, venant d’un sentier qui traversait la route, il aperçut un grand chien devançant une mince silhouette en manteau rouge. Il pressa le pas et Mme  Olenska s’arrêta court, avec un sourire de bienvenue.

— Ah ! vous voilà !

Le manteau rouge lui rendait l’éclat de l’Ellen Mingott d’autrefois. Il rit, lui prenant la main, et répondit :

— Je suis venu pour savoir ce que vous avez voulu fuir…

La figure de la jeune femme s’assombrit :

— Vous le comprendrez tout à l’heure…

La réponse intrigua Archer :

— Qu’avez-vous donc ? Que se passe-t-il ?

D’un petit mouvement qui rappelait celui de Nastasia, Ellen haussa les épaules et dit d’un ton plus léger :

— Marchons ! Le sermon m’a glacée. Et puis, maintenant vous êtes là, je n’ai plus peur.

Le sang monta aux tempes du jeune homme ; il saisit un des plis du manteau rouge.

— Ellen ! Qu’y a-t-il ? Dites-le moi !

— Tout à l’heure. Courons d’abord ; j’ai les pieds gelés, cria-t-elle ; et, ramassant son manteau, elle s’élança sur la neige, suivie du chien qui gambadait autour d’elle.

Archer s’arrêta un moment, ravi de ce bondissement rouge sur la neige ; puis il s’élança à la poursuite de la jeune femme. Ils se rejoignirent, riant et hors d’haleine, devant le portillon qui ouvrait sur le parc.

Elle fixa sur lui son regard :

— Je savais que vous viendriez !

— Cela prouve que vous le désiriez, répondit-il avec une joie secrète.

Le scintillement des arbres givrés remplissait l’air d’une lumière mystérieuse et, comme ils marchaient, la neige durcie semblait chanter sous leurs pas.

— D’où venez-vous ? demanda Mme  Olenska.

Il le lui expliqua et ajouta :

— J’ai demandé aux Chivers de me recevoir lorsque j’ai reçu votre lettre.