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II. — UNE CITADELLE DE L’OCCIDENT

Ce matin, je suis monté sur la colline de Bude, où, naguère, j’ai contemplé tant de fois le beau paysage qu’on découvre de là-haut, un vaste demi-cercle de montagnes boisées, l’immense nappe boueuse du Danube, qui coule au pied du rocher, et de l’autre côté du fleuve, sur la rive toute plate, la grande ville neuve de Pest, et puis la plaine à l’infini.

Quand j’y venais, il y a vingt ans, cette cité de Bude, posée sur son étroit plateau, était une vieille petite ville, d’un caractère tout provincial, avec des maisons basses, à un étage tout au plus, et presque toutes badigeonnées d’un étrange enduit jaune. On y cherchait en vain aucun de ces palais, que le XVIIIe siècle a prodigués à Prague ou à Vienne, par exemple, avec leurs cariatides géantes, leurs corniches décorées d’un peuple de statues tourmentées, leurs balcons admirables, toute cette architecture d’un bel art italien, assez plaisamment alourdi par le climat du Nord. A Bude, le palais d’un Magnat, c’était une demeure fort simple, bourgeoise et sentant la campagne. L’art ne s’y révélait que dans le porche et l’armoirie. Les Habsbourg n’ont jamais rien fait pour donner de l’éclat à la vieille colline. Marie-Thérèse, qui a tant construit partout, n’a édifié là-haut qu’une longue bâtisse monotone, qu’on a d’ailleurs jetée par terre pour élever à la place le nouveau château royal, fastueux et lourd comme un palace-hôtel. Quant aux nobles Magyars que la Cour attirait à Vienne, ils se bâtissaient là-bas quelque résidence somptueuse, dans les environs de la Burg, et se contentaient à Bude d’un modeste pied-à-terre, qu’ils habitaient pendant les rares séjours que le Roi ou la Reine venaient faire en Hongrie.

Parfois, dans l’enduit jaune qui recouvre ces maisons basses, on voit encastrée une pierre où s’enlève en relief une tête de Turc coupée, ou bien encore on lit une inscription du genre de celle-ci : « Ici, en 1450, habitait le despote de Bosnie ; ici, en 1388, s’élevait le palais du vice-roi du Banat ou de tel et tel prince des Balkans. » Vous entrez sous la voûte, assez large pour donner passage à une voiture à deux chevaux, et vous voilà dans une cour grossièrement pavée, où pousse l’herbe, avec un puits dans un coin, et tout autour, des constructions dont les vieux toits de tuiles plaies s’inclinent rapidement