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pouvait que lui déplaire : l’autorité qu’il avait sur son pays, son esprit peu courtisan, sa volonté inflexible, et sa religion même, ce calvinisme que l’Archiduc, élève des Jésuites d’Innsbruck, avait en particulière horreur.

Le meurtre du prince héritier n’était donc guère de nature à exciter chez Tisza beaucoup de haine contre la Serbie. Au surplus, il ne voyait que des inconvénients à toute annexion de territoire qui, en augmentant le nombre des Slaves déjà trop nombreux, à son gré, dans la Double Monarchie, ne ferait qu’y affaiblir la prépondérance des Magyars.

Il continua son discours en disant que ce n’était pas à l’Allemagne de décider si l’heure était venue pour Vienne de faire la guerre à la Serbie. Quant à lui, il estimait le moment défavorable. On pouvait craindre d’avoir contre soi les Roumains, qui se montraient en ce moment très hostiles aux Magyars. Pour les intimider, il faudrait maintenir de grosses forces en Transylvanie. Au contraire, en patientant, on pouvait espérer qu’à la suite des efforts, que faisait si heureusement l’Allemagne pour attirer la Bulgarie dans le cercle de la Triplice, la Roumanie et la Serbie se trouveraient bientôt isolées, et d’eux-mêmes les Roumains reviendraient à la Triple-Alliance. Enfin, plus on reculerait la guerre, plus la balance des forces entre la France et l’Allemagne pencherait en faveur de celle-ci, étant donnée la faible natalité française, et plus l’Allemagne aurait de troupes à opposer à la Russie. Pour ces différents motifs, une solution guerrière lui paraissait déraisonnable ; il trouvait plus opportun d’infliger à la Serbie une défaite diplomatique, qui permettrait ensuite de poursuivre dans les Balkans une politique efficace.

Le comte Berchlold fit remarquer que les succès diplomatiques n’avaient jamais amené jusqu’ici que de courtes améliorations dans les rapports avec Belgrade, et que seule une attaque énergique pouvait mettre fin à l’agitation des partisans d’une grande Serbie, qui se faisait sentir jusqu’à Agram et Zara. Quant aux Roumains, il estimait qu’ils étaient moins à craindre en ce moment que dans l’avenir, parce que les liens entre eux et les Serbes ne pourraient que se resserrer davantage. Sans doute, le roi Carol avait récemment exprimé à l’empereur François-Joseph des doutes sur la façon dont il pourrait s’acquitter envers lui de ses devoirs d’allié, car il devait compter