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un envoyé extraordinaire; il l’a emporté sans effort; le projet a été adopté, et M. Leygues, libéré, a pu repartir pour Londres, où la baguette magique de M. Lloyd George avait fait sortir du sol une nouvelle incarnation du Conseil suprême.

La situation devant laquelle s’est trouvé en Angleterre le Président du Conseil français était, il en faut convenir, hérissée de difficultés. Avant son premier départ, M. Leygues s’était présenté devant la Commission des affaires extérieures de la Chambre, et il y avait recueilli deux indications précises : hostilité générale contre le retour de Constantin, opposition non moins générale au traité de Sèvres, À ce moment, M. Leygues n’avait pu se rendre encore à l’appel de la Commission des affaires extérieures du Sénat, mais il avait été averti que les mêmes sentiments y avaient prévalu. Cette opinion parlementaire concordait, du reste, avec celle du gouvernement français, dont la thèse avait été longuement exposée dans la plupart des journaux, avant la réunion du Conseil suprême. Vous savez, en effet, qu’on a tordu le cou à la diplomatie secrète, bouc émissaire de tous les péchés de l’humanité. Chaque gouvernement se croit donc aujourd’hui dans la nécessité d’annoncer urbi et orbi ses intentions. Mais comme par une contradiction singulière, les conversations des premiers ministres demeurent toujours beaucoup plus mystérieuses que les négociations poursuivies dans les formes d’autrefois, on est amené à tromper l’appétit de l’opinion publique, en assaisonnant la sécheresse des protocoles de commentaires succulents; et c’est ainsi qu’à chaque rencontre du Conseil suprême, la presse anglaise annonce une victoire anglaise, la presse italienne une victoire italienne, la presse française une victoire française, et peut-être bien la presse japonaise une victoire japonaise. Seuls, les États-Unis se passent désormais de ces sortes de victoires, et ils ne s’en portent pas plus mal. Donc, lorsque M. Leygues est arrivé à Londres, il a trouvé une Angleterre qui n’était pas encore tout à fait revenue de la désagréable surprise dans laquelle l’avaient plongée les élections grecques. Sous l’influence prépondérante de Lord Curzon, le gouvernement britannique s’était fait des choses d’Orient une conception précise et systématique. La conséquence logique de la guerre était, à ses yeux, non seulement l’expulsion des Turcs de l’Europe, mais l’anéantissement presque total de leur Empire et leur cantonnement obligatoire en Anatolie. Sous le nom de Mésopotamie, la plus grande partie des territoires sur lesquels s’était étendue leur souveraineté, reviendrait naturellement à la Grande-Bretagne; on y ajouterait la Palestine et