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réponse : « Il est vrai qu’après avoir poussé aussi loin le démembrement de la Turquie, nous allons avoir quelque mal à calmer l’irritation du nationalisme ottoman. Mais Angleterre, Italie et France, nous avons là-bas, à nos côtés, un jeune et vigoureux allié, qui a fait ses preuves de courage et de fidélité, et tant à Smyrne qu’en Thrace, nous pouvons compter sur la vigilance et sur la loyauté des Grecs. » Cette confiante réplique, qui oserait maintenant la faire ? J’entends bien qu’à Londres, les Alliés ont décidé, d’un commun accord, de couper les crédits à la Grèce et de la mettre à la diète, si elle rappelait Constantin. Mais cette menace, — d’ailleurs, tardivement formulée, — est restée vaine. MM. Gounaris et Rhallys ont bruyamment déclaré qu’ils continueraient la politique étrangère de M, Venizélos, mais ils se sont gardés d’ajourner le plébiscite, et les événements ont suivi leur marche fatale. Minerve elle-même n’a-t-elle pas donné à Ulysse, pour lui permettre de mieux tromper son monde, des déguisements divers et des ressources infinies ? De son côté, le roi Constantin a fait savoir à l’univers, par des interviews sensationnelles, qu’il était un prince incompris, qu’il avait toujours été favorable aux Alliés et que c’étaient eux qui avaient eu l’aveuglement de dédaigner ses offres spontanées ; et il a entrepris sa justification en écrivant l’histoire un peu à la manière de son impérial beau-frère. À quoi bon ces apologies rétrospectives ? Constantin sur le trône, Constantin s’effaçant lui-même, par abnégation patriotique, pour faire place au diadoque, scènes interchangeables d’une même comédie. Le Roi est quelque chose, mais il n’est pas tout. Que sera demain la politique extérieure de la Grèce ? Là est toute la question. Ce n’est pas contre un homme, fût-ce contre une tête couronnée, que nous avons à nous tenir en garde, c’est contre le virus germanique qui s’est, de nouveau, insinué en Grèce et qui menace de contaminer l’Orient.

Raymond Poincaré.


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