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grands pays industriels soit atteinte. A la fin de 1919, le salaire d’un ouvrier américain représentait environ vingt fois celui d’un ouvrier japonais ; mais les salaires tendent à hausser, tandis que la capacité de production de l’ouvrier ne s’accroît pas ; on calcule que, malgré la journée de douze heures, le rendement d’un ouvrier nippon n’est que la moitié de celui d’un Européen. Un mouvement ouvrier se dessine au Japon. Jusqu’ici, toute propagande socialiste avait été rigoureusement interdite et réprimée ; mais on n’arrête les idées qu’en leur opposant l’antidote de principes plus justes ou en donnant satisfaction à ce qu’elles peuvent contenir de vérité. Les doctrines marxistes ont franchi les douanes intellectuelles dont le gouvernement aristocratique du Japon entoure le pays ; soutenues par la propagande bolchéviste, elles ont pénétré dans les usines et jusque dans les chaires des Universités. Une agitation ouvrière pour la journée de huit heures commence.

D’autre part, les chrétiens, catholiques et protestants, qui deviennent, au Japon, une élite généreuse et réformatrice, réclament pour les travailleurs de toute catégorie l’affranchissement économique et intellectuel ; l’un d’eux, M. Kagawa, formé aux États-Unis, montre, à l’instar des chrétiens-sociaux de tous pays, que plus d’idéalisme et de justice sociale n’est pas incompatible avec la bonne organisation du travail[1]. La misère, au Japon, dans les basses classes, est atroce ; la population grouille et pullule dans les faubourgs des villes, dans les villages de pêcheurs, sur les champs trop étroits ; elle commence à prendre conscience de cette misère et à réagir. Dans l’été de 1918, de graves émeutes ont éclaté à Kobé, Osaka, Kyoto, Tokyo à cause du renchérissement du riz que la foule, comme toujours, attribuait aux manœuvres des spéculateurs. Il y eut des morts, des incendies, des magasins pillés ; le Mikado donna trois millions de yens sur sa cassette particulière : goutte d’eau dans cet Océan de misère. Pour soulager tant de besoins qui prennent conscience d’eux-mêmes, il faut au Japon des usines, des terres où diriger ses émigrants, des mers et des côtes poissonneuses où les pêcheurs puissent remplir leurs filets.

Mais, pendant la guerre, les usines se sont trop multipliées,

  1. M. Kagawa a publié récemment : Principes d’une économie idéaliste, analysé dans une lettre de M. Maybon (le Temps du 4 septembre 1921).