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nombreuses. Bientôt les conflits dynastiques de la vieille Europe nous apparaîtront avec le même recul que les combats féodaux livrés jadis aux portes de Paris. Dans ces chocs gigantesques qui se produiront entre les grandes races de la terre, la marine est appelée à exercer l’action la plus efficace. C’est ce que notre Gouvernement, hypnotisé par la garde du Rhin, semble ne pas comprendre suffisamment, et c’est ce que le Foreign Office a parfaitement saisi.

La France, en effet, aurait pu édifier une puissance navale sur les ruines de la marine germanique. La disparition des dreadnoughls allemands à Scapa-Flow et l’arrêt total de nos constructions navales depuis sept ans, nous ont mis en si pitoyable posture que la flotte française n’existera bientôt plus qu’à l’état de souvenir. L’Italie, qui se trouve dans une situation financière plus critique que la nôtre, poursuit néanmoins la constitution de forces navales en rapport avec sa situation méditerranéenne. Elle aura une supériorité considérable sur nous, après l’achèvement de son programme[1]. Quant à l’Angleterre, pour répondre aux projets de l’Amérique et du Japon, elle vient de décider la mise en chantier de quatre superdreadnoughls. Nous sommes donc le seul pays qui ait paru renoncer à toute espèce de dessein relatif à la reconstitution de sa marine de guerre. On ne saurait pousser l’ironie plus loin que de nous demander de limiter nos armements navals, puisque nous avons fait mieux que de les limiter : nous les avons suspendus. Ainsi s’explique que primitivement, on n’eût même point l’intention de convoquer la France à la Conférence de Washington. Nous avons cependant voix au chapitre. Comment oublier que nous possédons en Extrême-Orient un empire qui compte dix-huit millions d’habitants, occupe une superficie de 776 000 kilomètres carrés, et dont le chiffre d’affaires dépasse 2 milliards et demi ? Dans le Pacifique même, nous avons des centres de ravitaillement de premier ordre, ou des points d’appui, comme Nouméa en Calédonie, Tahiti et Port-Phaëton en Polynésie, Nouka-Hiva aux Marquises, Rapa dans l’Extrême-Sud. Enfin, puisqu’il sera parlé de la couleur des visages à Washington, la France, qui protège 44 millions de sujets indigènes qu’elle a toujours traités comme ses propres citoyens, a bien quelques mots à dire dans ce débat.

  1. Voyez la Revue du 11 août 1921.