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vous ne tintiez plus dans le vent. Plus de gazons ; pas plus de gazon d’argent que de gazon du chat ou de gazon d’Espagne ; le gazon turc n’a pas survécu et (que brouteront donc les poètes ? ) le gazon du Parnasse est défunt aussi.

L’herbe d’amour elle-même expire au bord des étangs vides et des marécages sans boues ; l’herbe des magiciennes, sans puissance contre la chaleur qui dévore, l’herbe funeste se flétrit et meurt.

Est-ce que le jour est proche où le globe terrestre, selon la fameuse prédiction d’Alfred de Musset :

… Sans barbe ni cheveux,
Comme un grand potiron roulera dans les cieux ?

Et ces cieux eux-mêmes sont sans nuages. Le ciel, qu’une brume de chaleur voile au crépuscule, est désert comme une mer sans navires. Horreur d’un ciel trop bleu ! Accablement, découragement, renoncement du perpétuel azur ! Exaspération d’un paroxysme qui ne finit point !… Oh ! beaux nuages ! nuages aux formes fuyantes, tour à tour groupés ou défaits, modelés, dispersés, effilés ou gonflés, étirés, floconneux, soufflés et disparus ; nuées sombres ou porteuses de lumière, anges changeants des Assomptions invisibles, dociles amis du vent, de la lune et du soleil qui parfois font de vous des messagers tout vêtus de clartés ou d’ombres et des formes mystérieuses où se confondent celles des êtres humains, ailés et maritimes ; nuages, nuages, nuages, vous qui surgissez, voyagez et disparaissez dans les airs, pareils aux pensées des rêveurs et aux songes des femmes, nuages charmants et beaux, revenez ! Rapportez-nous la grâce de vos mirages et les bienfaits de vos pluies, et faites-nous oublier, par vos errants caprices et vos menaces renouvelées, l’ennui, l’implacable ennui de toute cette sérénité ! Eh bien ! ma chère, à la fin, ces prières furent écoutées. Il plut. Et l’on dégusta la pluie tel que jamais on n’avait su le faire… Et l’herbe à foison repoussa, repoussa tellement que l’on fit trois fois les foins ; et les arbres reverdirent et les fleurs renaquirent et les pétioles raffermis étalèrent dans l’atmosphère des feuilles vivantes ; et les ciels furent tumultueux et les grands couchants de Paris furent de nouveau les plus beaux parmi les plus beaux du monde. On vécut