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— Vous avez bien raison ; mais c’est un petit jeu que vous abrégez trop. Continuez donc : qui verseront-elles, écraseront-elles et tueront-elles ?

— Vous êtes gaie… Et puis si on pensait à tant de choses, on ne ferait plus jamais rien. Voyons, regardez, que diable ! et choisissez mon présent imaginaire ; ne vous gênez pas surtout : vous n’avez pas besoin de faire d’économies…

— Pour ce que ça vous coûte… Vous ne trouvez pas que le soir on devrait allumer tous les phares et faire ronller tous les moteurs pendant une demi-heure par exemple ? l’hallali du piéton…

— Ce serait d’un effet, ma foi, saisissant.

— Voyons cette grosse voiture vert-céloine. Des acheteurs sont déjà installés sur les coussins, pour les essayer, et cet homme mûr qui examine le volant parait hésiter avant de courir à sa perte. Cela ressemble à ces gros joujoux mécaniques où de petits personnages de cire ont accident sur accident.

— Panhard, Hispano, Delaugère-Clayette…

—… On dirait, celle-là, un gros hanneton marron.

— Et cette notre si bien vernie qui vous reflète comme un étang au crépuscule ; je vous l’offre pour les sorties du soir.

— Merci. Admirez cette torpédo bleue, creuse comme une barque et cette étonnante Brasier grise, à la fois canon et boulet ; et la monumentale Elizalde aux phares prodigieux : qu’elle nous fera peur, rencontrée au tournant d’une route !

— Fonck, de Dion, Voisin, Mercedes, Delahaye, Gnôme-Rhône… je savais bien qu’il y avait du gnome, dans tout cela et du fantastique malgré tout. Mais que de noms, que de noms ! Tout le monde fabrique donc des automobiles ?

— Et encore plus de gens en achètent. Ces voiturettes, ô chère, vous combleraient-elles ? Voyez le léger squelette de l’Elfe semblable à un grand insecte décortiqué.

— Et ce moteur Hotchkiss mis à nu, et toutes ces autres anatomies et l’hoffmannesque complication de leurs rouages, vraiment oui, cela est beau et mystérieux et un peu effrayant aussi ; on dirait l’intérieur d’énormes pendules faites non pour marquer le temps, mais pour le dévorer.

— Oui, plus vite, toujours plus vite ; c’est la devise de notre siècle. Eh bien ! avez-vous choisi ? J’y tiens beaucoup, vous savez : votre choix, c’est une indication de caractère.