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textes, que pour lire et relire encore Walter Scott qu’il admire profondément. Les événements politiques les plus graves se succèdent sans l’émouvoir. Le meilleur de son âme est ailleurs ; il semble vraiment n’y point assister. Un instant, à la demande d’illustres amitiés, il se fait cependant affilier à la Charbonnerie, mais il ne parait jamais à la Vente, et retourne bien vite à ses chers in-folios.

Toute passion sincère réclame son confident ; Claude Fauriel était devenu celui d’Augustin Thierry. Il l’avait rencontré chez les Tracy à Auteuil, puis retrouvé dans une maison amie où fréquentait assidûment son frère. Écossaise, restée veuve de bonne heure, Mrs Clarke était depuis longtemps fixée en France avec ses deux filles Eléanor et Mary. Bien que leur fortune fût médiocre, ces dames se plaisaient à recevoir, appréciées et répandues dans le monde intellectuel. On les aimait chez Mme Récamier ; Manzoni, lorsqu’il venait à Paris, Thiers, Guizot, Mignet, Cousin, Villemain, J.-J. Ampère acceptaient volontiers leurs invitations. L’aînée des misses Clarke, après son mariage avec un membre du Parlement britannique, Mr. Frewen Turner, était retournée en Angleterre ; mais la seconde, Mary, intelligente, lettrée, pleine de verve et de vivacité, demeurait l’âme du salon maternel.

Les extraits d’une longue correspondance publiée dans cette Revue par Edouard Rod ne laissent aucun doute sur la nature du sentiment qui l’attachait alors à Amédée Thierry. Liaison orageuse et roman vite interrompu. Fougueusement éprise d’indépendance, déjà « féministe » d’orgueil et de revendications, Mary reproche aigrement à son partenaire son activité, son ambition, disons le mot, son arrivisme et de « se faire une machine toute tendante à un but. » Elle va lui donner bientôt un successeur dans la personne même de Fauriel et ce sera le grand amour décevant et passionné de sa vie, qui ne l’empêchera pas d’ailleurs, après la mort du bien-aimé, d’épouser sur le tard l’orientaliste Jules Mohl.

Bien qu’il n’eût alors presque rien publié, l’ancien secrétaire de Fouché, l’ami de Mme de Staël, exerçait dans les milieux de pensée une influence considérable. On l’y choisissait comme un oracle consultant, dont les conseils étaient généralement écoulés et suivis. Esprit original et hardi, d’une curiosité universelle, d’une subtile pénétration de vues, il justifiait cette flatteuse