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Son frère voulut l’accompagner. La veille du départ, tous deux escortés des témoins nécessaires se rendirent au commissariat de la rue Jacob pour obtenir leurs passeports. « Quelle profession ? interrogea le commissaire après avoir pris le signalement d’Augustin. — Homme de lettres. » Alors, le policier, le toisant de haut en bas : « Pauvre monsieur ! par égard pour vous, je vais inscrire rentier[1]. »


VIII. — COURSES EN PROVENCE

Dans le « célérifère » des Messageries Laffitte et Caillard qui les emportait, les deux frères trouvèrent un compagnon de route. Sous Charles X, il fallait encore compter trois jours, sinon quatre, pour aller de Paris à Lyon. On avait donc tout loisir d’étudier ses voisins : c’était le temps des causeries agréables dans la voiture lente ; des amitiés se formaient parfois, durant ces heures tranquilles, où, sur le pavé du Roi, au trot cabotant des chevaux, défilaient interminablement « les belles lieues de France. »

Les trois occupants du coupé s’étaient présentés l’un l’autre au départ ; la connaissance se trouvait faite à Montereau : bien avant de franchir la Saône, on s’appréciait mutuellement.

Le dernier venu, M. Jacob d’Espine, était Suisse. Agé d’environ quarante-cinq ans, il appartenait à une famille de médecins distingués[2], originaire de Savoie et occupait à Genève une place en vue dans les conseils politiques, membre de l’assemblée représentative du canton. Méthodiste fervent, l’un des chefs reconnus des Mômiers, animé pour la « Foi » d’un zèle infatigable, très pieux, très instruit et très bon, il dépensait son activité avec toute l’ardeur d’une conviction profonde à des œuvres de bienfaisance et de prosélytisme évangélique. Présentement, il s’en revenait d’Angleterre, ayant accompli ce long trajet à dessein de s’entendre avec un membre du Parlement britannique, sir Culling Eardley, au sujet des mesuros nécessaires à propager le « Réveil » sur le continent et le substituer au déisme impie de Voltaire et de Rousseau.

A l’hôtel du Jura où il descendit, une ennuyeuse nouvelle

  1. Souvenirs d’Amédée Thierry.
  2. Les docteurs Joseph d’Espine (1734-1830) et Charles-Antoine son fils (1775-1850) ont été les créateurs des eaux d’Aix.