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par leurs soins, d’un Nouveau Testament, en guise de viatique spirituel, alla rejoindre son compagnon logé chez un juge au tribunal, M. Alicot.

Quelques jours plus tard, accompagné des plus vifs remerciements pour son aimable accueil, M. d’Espine recevait cette lettre qui dut quelque peu désabuser ses illusions apostoliques :

« Nous avons causé avec M. Fauriel de vos désirs et de vos projets de réforme. Il se convertira avec moi, mais seulement si une grande occasion se présente. Cette réserve va vous scandaliser. Vous nous appellerez des gens de petite foi. Mais voilà comme nous sommes, nous autres pauvres philosophes. Nous n’avons de la religion que par sympathie pour le bien du genre humain et non pour le salut de notre âme. »

Cinq mois durant, conduits par M. Alicot qui s’était fait mettre en congé pour leur servir de guide, Fauriel et Thierry parcoururent avec un enthousiasme sans cesse renaissant le Languedoc et la Provence. Ils visitèrent Avignon, Nîmes et ses arènes dont l’auteur des Lettres sur l’histoire de France devait bientôt évoquer la vision, gagnèrent Arles qui les retint longtemps, descendirent la Crau jusqu’aux Saintes Maries de la mer, comparèrent à celui de Saint-Trophime le merveilleux portail roman de Saint-Gilles, et par Aigues-Mortes, Agde, Béziers, Narbonne, revinrent sur Toulouse où ils se séparèrent. Malgré l’affaiblissement redoutable de sa vue, ce long voyage avait enchanté Augustin Thierry.

« Hors d’état moi-même de lire, écrit-il, non pas un manuscrit, mais la plus belle inscription gravée sur la pierre, je tâchais de tirer encore quelque profit de mes courses en étudiant sur les monuments l’histoire de l’architecture du Moyen-Age. J’avais tout juste assez de vue pour me conduire ; mais en présence des édifices ou des ruines dont il s’agissait de reconnaître l’époque et de déterminer le style, je ne sais quel sens intérieur venait au secours de mes yeux. Animé par ce que j’appellerai volontiers la passion historique, je voyais plus loin et plus nettement. Aucune des lignes principales ne m’échappait, et la promptitude de mon coup d’œil si incertain dans les circonstances ordinaires, était une cause de surprise pour les personnes qui m’accompagnaient. »