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s’il eût accompli un devoir de piété filiale ; » avec lui, on pleura sur ces proscrits de Reims, noms autrefois obscurs et qui allaient désormais traverser les âges.

L’accueil réservé aux Lettres sur l’Histoire de France répondit au succès naguère obtenu par la Conquête. Deux éditions successives, publiées coup sur coup en 1827 et 1828, prouvèrent a l’historien que le public avait compris son œuvre[1].

« Supporte et abstiens-toi, » enseigne la morale stoïcienne, « oppose à tous les malheurs l’impassibilité d’une âme libre. » Augustin Thierry devait faire sienne, toute sa vie, cette maxime d’Epictète. Après un répit trop passager, l’ataxie poursuivait son cours inéluctable et l’abus du travail achevait de ruiner sa santé. La nuit finissait de tomber sur ses yeux. A peine maintenant, s’il distinguait la blancheur des murs ou la clarté du ciel, de fréquents étourdissements le terrassaient.

« Ma santé décline toujours, mon cher ami, écrit-il le 13 novembre 1827 à M. d’Espine ; je viens d’essayer le galvanisme, mais sans succès. Il ne me reste plus à expérimenter que les moxas, moyen bien douloureux. Après cet essai, j’aurai parcouru le cercle entier de la médecine. Il ne me restera plus qu’à m’envelopper la tête et à attendre l’événement. Peut-être alors, irai-je vous demander un asile et chercher comme dernier remède votre compagnie et le soleil. »

Sourd à toutes les objurgations, martyr volontaire du « dévouement à la science, » ayant fait « amitié avec les ténèbres, » il s’entêtait cependant dans sa généreuse folie. Amédée Thierry terminait son Histoire des Gaulois, achevant de débrouiller le mystère de nos origines reculées. Dans une association fraternelle qui souriait à son cœur et par illusion dernière sur ses forces physiques, Augustin rêvait de donner pour pendant à ce grand travail le tableau de ce qu’il appelait nos secondes origines : les origines germaniques, rattaché au récit des invasions qui avaient entraîné la chute de l’Empire d’Occident. Enthousiasmé par ce sujet grandiose, il venait

  1. Les seules réserves formulées par Daunou, Guérard et Pétigny dans le Journal des Savants portèrent à peu près exclusivement sur la réforme orthographique des noms franks, que Thierry, par amour de la couleur locale, voulait, comme on sait, conformes à la prononciation tudesque. Le système qu’il préconisait au nom de la vérité historique, n’a point triomphé. Il lui vaudra, à l’apparition des Récits des Temps Mérovingiens, les railleries de Charles Nodier, le docteur Néophobus.